L’écrivain, l’artiste plasticien, le poète sont là pour parler de la société. Le comédien et le dramaturge sont là aussi pour critiquer la société et sensibiliser la population. Nous faisons tous le même travail. La photographie aujourd’hui est une discipline qui influence les autres disciplines artistiques, notamment le théâtre qui est un moyen de communication et de sensibilisation, comme la littérature, comme la poésie.

À travers les rencontres, on a pu découvrir des photographes venant d’ailleurs qui savaient faire un travail contemporain. Ils sont venus exposer et la plupart des gens se sont demandé : mais quelle est cette photographie qui ne photographie même pas les hommes ?

ICI AU MALI, PARLER DE LA PHOTOGRAPHIE SIGNIFIE QUE L’ON PARLE DE L’HOMME.

LA PHOTOGRAPHIE AU MALI A SURTOUT UNE FONCTION DE SOUVENIR.

VIVRE DE LA PHOTOGRAPHIE DE REPORTAGE

Q Quelle est la situation d’un photographe vivant à Bamako ?
AS Au Mali, il y a deux types de photographes : ceux qui font de la photographie alimentaire et ceux qui ont une production artistique. La plupart des photographes vivent de leur production, c’est-à-dire surtout du reportage. Ils photographient les mariages, les baptêmes, les cérémonies. Le photographe se déplace de quartier en quartier pour faire la couverture des manifestations culturelles dans la ville. La majorité des photographes travaillent ainsi. Ensuite, il y a ceux que l’on appelle les photographes créatifs, les artistes. Ceux-là sont minoritaires. Ils vivent des expositions, des conférences, de la vente de leurs images. La vie d’un photographe au Mali est difficile, parce que les tirages ne se vendent pas. Les gens ne décorent pas les chambres, ils n’ornent pas les salons avec des photographies. La photographie a surtout une fonction de souvenir et ces images-souvenirs s’achètent à bas-prix.

LA MAISON AFRICAINE DE LA PHOTOGRAPHIE

Q Vous travaillez à la Maison africaine de la photographie. Vous avez très certainement un point de vue précis et intéressant pour comprendre comment les jeunes photographes maliens ont les moyens de travailler en tant que photographes aujourd’hui au Mali et par quels moyens ils peuvent développer leur pratique et exposer leur travail. Pourriez-vous nous décrire la situation ?
AS Pour montrer le travail des photographes à Bamako, nous disposons de la Maison Africaine de la Photographie. Il s’agit d’une structure étatique qui a pour mission la diffusion, la promotion et la collecte des images photographiques. La Maison dispose des moyens techniques pour monter une exposition, pour faire la promotion des photographes maliens. Bamako, en tant que capitale de la photographie, dispose aujourd’hui également des Rencontres africaines de la photographie qui a lieu tous les deux ans. Cette biennale est une vitrine internationale qui permet aux photographes de se faire connaître partout dans le monde. Enfin, nous disposons d’un fonds pour les artistes. C’est un programme financé par l’Union Européenne qui a vocation à soutenir la création. Pour avoir accès à ces subventions, il faut monter un projet et c’est ce qui est surtout difficile pour les artistes maliens, parce que vous savez, la plupart des photographes n’ont pas bénéficié d’un haut niveau d’éducation. Souvent, quand on leur demande de proposer un projet, ils rencontrent des problèmes pour la rédaction et la conception ; cela crée de la frustration. Le rôle de la Maison africaine de la photographie est important à ce niveau-là. Elle occupe une fonction de médiation, car elle monte des projets qui ensuite permettent aux photographes de financer leurs projets. Tout en les accompagnant sur leurs projets, la Maison réalise un énorme travail de diffusion pour la promotion des artistes maliens.

LA PHOTOGRAPHIE CONTEMPORAINE, UN NOUVEAU PHENOMÈNE

Q Les Rencontres africaines de la photographie à Bamako existent maintenant depuis bientôt vingt ans. Qu’ont-elles changé ? Tant pour le paysage artistique de la ville, que pour l’importance que l’on donne à la photographie dans la société ?
AS La photographie est un produit culturel. Ici, la relation entre les individus est très forte. Les gens aiment se souvenir. Les photographies d’album sont une tradition, une culture, une habitude. Différemment, la photographie contemporaine jette un regard sur d’autres domaines : elle regarde ce qui se passe autour de nous sans avoir besoin de montrer le visage d’un individu. Elle prend une partie de l’homme, ou bien elle travaille sur les objets. Il s’agit d’une photographie très récente ici. Les photographes maliens l’ont connue surtout à travers les Rencontres de Bamako ; parce qu’à travers les rencontres, on a pu découvrir des photographes venant d’ailleurs qui savaient faire un travail contemporain. Ils sont venus exposer et la plupart des gens se sont demandé : mais quelle est cette photographie qui ne photographie même pas les hommes ? Telle a été leur première impression. Cette photographie, encore aujourd’hui, ne touche qu’une petite partie de la population. Il y a des photographes qui ne sont pas là à Bamako, qui vivent dans les villages. Pour eux, travailler sur des sujets comme ceux que développe la photographie contemporaine, a l’air d’être bien peu de choses. Ici au Mali, je le répète, parler de la photographie signifie que l’on parle de l’homme. Une photographie suppose un homme présent dans l’image, mais pas un autre objet. Voilà ce qui explique que le portrait reste central pour la photographie malienne, même s’il est important de dire que d’autres photographes travaillent sur d’autres aspects de la photographie que le portrait. Aujourd’hui, nous avons pas mal de jeunes photographes qui évoluent dans le secteur, qui travaillent dans le domaine de l’art, qui sont dans la contemporanéité, qui travaillent soit sur des objets, soit sur des situations, soit sur des monuments, et qui n’ont donc rien à voir avec le portrait.

L’ART À SÉGOU ET À BAMAKO

Q Nous avons été très surpris de vous entendre dire que la galerie Chab Touré avait fermé ses portes à Bamako et déménagé à Ségou. Pourriez-vous nous expliquer un peu plus précisément pourquoi ?
AS Si la galerie n’a pas marché à Bamako, c’est pour une question de vision. Aujourd’hui, la ville de Ségou est reconnue comme le centre artistique du Mali. C’est devenu un passage obligatoire pour les touristes, pour les artistes. Quand un artiste vient au Mali, à Bamako, il visite obligatoirement Ségou, la ville du sud, qui est la destination privilégiée pour une galerie. Je pense que c’est ce qui a fait déménager Amadou Chap Touré à Ségou. Il a dû faire une enquête pour évaluer la faisabilité de son projet avant de déménager, parce que c’est un intellectuel. Je crois qu’il est philosophe de formation, il a fait des études d’esthétique à Paris, et des études de commissariat aussi. Il a certainement dû faire une étude de marché qui l’a mené à déplacer sa galerie à Ségou. Et de mon point de vue, je pense que Ségou est effectivement aujourd’hui un lieu incontournable. C’est devenu un passage obligé. Tout ce que l’on trouve à Bamako est passé par Ségou. C’est la ville des artistes.
Q Les Rencontres de la photographie à Bamako n’ont-elles pas changé la donne pour les galeries ? Avec un public, des galeristes voire des collectionneurs qui viennent à Bamako au moins tous les deux ans ?
AS Vous savez, les Rencontres africaines de la photographie à Bamako, c’est un mois précis. Les collectionneurs, les galeristes, sont là seulement pendant une semaine, ensuite ils s’en vont. Une semaine, c’est trop peu pour une galerie. Et Ségou n’est pas loin de Bamako, donc les personnes qui viennent à Bamako pour la Biennale, prennent toujours une ou deux journées pour aller à Ségou. De Bamako, ce sont seulement deux ou trois heures de route pour aller à Ségou. Après, il y a sûrement d’autres raisons que j’ignore pour lesquelles Amadou Chap Touré a décidé de déplacer sa galerie.

L’INTERVIEW COMME OUTIL DE TRAVAIL

Q Pourriez-vous nous dire quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?
AS J’ai un projet en tête, je souhaiterais travailler avec des jeunes photographes émergeants. Lorsque vous consultez le site internet de la Maison de la photographie, vous trouvez une rubrique « éditorial photo » dont je suis l’initiateur. Je choisis un jeune artiste, je l’interviewe, je crée un petit article sur lui, je recueille ses images et je mets tout cela en ligne sur le site. À partir de cette première étape, j’ai pensé développer une agence de photographie pour permettre aux jeunes photographes de communiquer et de se faire connaître, notamment des agences de communication qui peuvent se servir de leurs images pour leurs illustrations, leurs productions. Il est nécessaire d’instaurer des contacts dans le monde extérieur afin d’échanger et de faire la vente des images, ainsi que de promouvoir les jeunes photographes. C’est un projet en cours, j’ai été en contact avec une équipe hollandaise pour la conception de ce projet.
AS La forme de l’interview comme méthode m’intéresse tout particulièrement : c’est une approche participative et concrète. Lorsque l’on réalise une interview, on est en contact direct avec son interlocuteur. On est témoin de réactions directes suscitées par nos questions. On recueille des sensations, des expressions, des sentiments. Pendant l’interview, il n’y a pas de filtre entre moi et la personne que j’interroge, mais la retranscription vient ensuite installer une distance et une réflexion. On passe dans un mode indirect. Par un retour sur ses propos, la lecture de la retranscription permet à la personne interviewée de réfléchir à ce qu’elle pense de la situation. C’était un peu difficile au début, parce que les photographes que j’ai interrogés n’aimaient pas parler. Ce n’était pas facile d’exprimer ce qu’ils pensaient vraiment. Pour beaucoup, c’était leur première fois. Je leur ai donc proposé de commencer par me communiquer par écrit ce qu’ils pensaient concrètement de telle ou telle situation. C’est seulement ensuite que j’ai réalisé les interviews. J’essaie de me familiariser d’abord avec eux, pour ensuite pouvoir approfondir. L’ensemble du processus s’étale dans le temps, entre la première rencontre où j’explique ce que je veux faire et la réalisation finale de l’interview. En fait, il y a une intervention de l’écrit avant et après.

Interview réalisée à Bamako, Maison africaine de la photographie, 14. 02. 2011
Par Bärbel Küster, Marleine Chedraoui, Judith Rottenburg, Janine Schöne, Tanja Schüz

Série « La fin d'un divorce »

Amadou Sow, 2015

Ségou

Série « La fin d'un divorce »
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Tou Bissimilaye

Série « Taama Sira » (Le chemin de l'exode)
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Taama Saraka

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Woro den Nani

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Fura Daga

Série « Taama Sira » (Le chemin de l'exode)
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Dansogo Karamoko

Série « Taama Sira » (Le chemin de l'exode)
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Taama

Série « Taama Sira » (Le chemin de l'exode)
Amadou Sow, 2010

Dilèli

Série « Taama Sira » (Le chemin de l'exode)
Amadou Sow, 2010

La photographie n'a pas de couleur

Interview avec Amadou Sow à Bamako, 2011

Amadou Sow

photographe

vit et travaille à Bamako,
Mali

*1975

biographie