Rétroviseur

Harandane Dicko, 2014

Rétroviseur

Harandane Dicko, 2014

Poitrine, Série « Désaffection »

Harandane Dicko, 2008

Le journal, Série « Désaffection »

Harandane Dicko, 2008

Toujours moi, Série « Désaffection »

Harandane Dicko, 2008

Déconstruire la réalité

Interview avec Harandane Dicko à Stuttgart, 2014

La rue est un lieu où se passent énormément de choses. C’est pour cette raison que j’essaie de capter les contrastes des villes africaines en pleine expansion à travers leurs réalités quotidiennes. Les villes africaines ont beaucoup évolué ces dernières années et de plus en plus de gens vivent en ville.

Dans les collections des grands musées, que voit-on de la photographie africaine ? La photographie de studio. C’est comme si toute la photographie en Afrique, ou au Mali tout particulièrement, se résumait à la photographie de portrait. Or, nous avons un devoir de mémoire. Celui de rappeler la diversité de la photographie africaine.

J’essaie de montrer les espaces dans leur ensemble, toujours en relation avec moi, sans que je sois placé pour autant au centre de l’image.

LES RETROVISEURS DE MOTO RENVOIENT UNE IMAGE INVERSEE DE LA REALITE.

On cherche à maîtriser le caractère flou de la vie, on a tendance à prendre le faux pour le vrai. Je m’intéresse à travers mes portraits et mes scènes de vie à cette ambiguïté.

Bras croisés, Série « Désaffection »

Harandane Dicko, 2008

Baril, Série « Désaffection »

Harandane Dicko, 2008

Balais, Série « Désaffection »

Harandane Dicko, 2008

Rétroviseur

Harandane Dicko, 2014

Rétroviseur

Harandane Dicko, 2014

Rétroviseur

Harandane Dicko, 2014

Rétroviseur

Harandane Dicko, 2014

UNE RECHERCHE SUR LA VILLE

Q Quelles ont été vos sources d’inspiration pour votre série Rétroviseur ? S’agit-il pour vous d’une recherche sur les villes ?
HD Oui, cela ressemble à une recherche sur les villes, pas sur les villes particulières, car sur la plupart des photographies de la série Rétroviseur, on ne fait pas la distinction entre les villes. Ce qui retient mon attention, c’est plutôt ce qui relie les villes africaines entre elles. C’est un travail en cours, que je continue de développer au fil des années. Avec le rétroviseur, il s’agit pour moi d’alerter mes confrères africains et de dire : « Attention, tout ce que vous voyez, tout ce que vous pensez être la réalité, n’est pas la réalité. » C’est vrai aussi que les Européens ont des idées-reçues sur l’Afrique, surtout ceux qui n’ont pas été en Afrique. Mais honnêtement, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Pour l’instant, c’est vraiment l’Afrique qui m’intéresse. Travailler en Afrique, choisir des sujets sur des villes africaines.

CAPTER LE MOUVEMENT DES VILLES

Q Pour votre série Rétroviseur, comment se sont déroulées les prises ?
HD J’ai commencé cette série l’année dernière à Kampala en Ouganda. L’idée était pour moi de faire des portraits de villes africaines dans tous leurs mouvements. J’ai donc loué des motos-taxis pour réaliser mes images. Ce qui m’intéressait, c’était de faire des photographies avec les rétroviseurs des motos. Une manière de capter le mouvement de mes sujets sans qu’ils s’en rendent compte. Ce qui me donne la possibilité de photographier mes sujets de façon naturelle. J’ai continué la même série à Nairobi, Lubumbashi au Congo, à Lagos et à Bamako. La moto c’est un moyen de transport qui est utilisé dans plusieurs grandes villes africaines. Un moyen qui permet à plusieurs personnes de se déplacer à moindre coup, malgré le manque de sécurité.

SORTIR DU STUDIO

Q Vous avez dit que vous ne faites pas de photographie de portrait. Qu’entendez-vous par-là ? Car dans votre série Rétroviseur, ce sont surtout des portraits que l’on voit. Des portraits dans la rue.
HD Je ne dis pas que je ne fais pas de portraits. Les portraits, c’est quasiment la référence de la photographie chez nous, en Afrique, et particulièrement au Mali. Pour preuve, on a de grands portraitistes comme Seydou Keïta ou Malick Sidibé. Ce que je voulais dire, c’est qu’il est important de sortir un peu de cette mentalité occidentale qui pense résumer presque toute la photographie africaine à la photographie de portrait. C’est vrai, chez nous le portrait est extrêmement important. C’est une façon de révéler, de montrer sa propre image, son identité, mais la photographie africaine va au-delà de cette caricature. Dans les collections des grands musées, que voit-on de la photographie africaine ? La photographie de studio. C’est comme si toute la photographie en Afrique, ou au Mali tout particulièrement, se résumait à la photographie de portrait. C’est une tendance que l’on retrouve même chez les jeunes comme moi. Or, nous avons un devoir de mémoire. Celui de rappeler la diversité de la photographie africaine. C’est pour cela qu’avec mes rétroviseurs, je montre toutes sortes de portraits. Des gens simplement. La vie courante. Dans les rues. Et pas forcément dans un studio, ou un salon, ou un espace donné.

CONSTRUIRE UNE AUTRE IMAGE DE L’AFRIQUE, UN DEVOIR

Q Est-ce central pour vous que l’Afrique soit en mesure de créer ses propres images d’elle-même ?
HD Les photographes africains ont un devoir, celui de construire une image africaine. Mon rôle en tant que photographe est aussi de changer le regard que l’on porte sur la photographie africaine. C’est important de photographier le milieu que l’on connaît le mieux. Si je vais en Europe pour photographier la réalité européenne, je ne vais rien photographier qui n’ait été déjà photographié par les Européens. Il faut reconnaître que ma photographie aujourd’hui s’adresse d’abord à l’Afrique, aux Africains, même s’il n’existe pas de marché de la photographie en Afrique, même si je ne peux pas vivre de la photographie. Il s’agit pour moi d’un devoir de montrer une autre image de l’Afrique. Je ne suis bien sûr pas le seul à dire cela, il existe des photographes africains qui pensent la photographie autrement et qui avant de vouloir l’exporter en Europe, la dédie aux Africains.

Interview réalisée à Stuttgart, Staatliche Akademie der Bildenden Künste Stuttgart, 19. 11. 2014
Par Finn Schütt

CORPS ET ENVIRONNEMENT

Q Pourriez-vous nous parler un peu de votre série intitulée Désaffection ?
HD La première idée était pour cette série était d’apprendre à connaître mieux mon propre corps en le plaçant dans un environnement insolite, vieillissant et abandonné. J’ai choisi ces lieux pour exposer le corps, car il me semble qu’ils ont quelque chose de commun avec la couleur noire de ma peau. L’objectif de ces images était de rappeler l’influence du temps sur nous et sur l’environnement qui nous entoure, car tout est appelé à disparaître un jour. Je voulais interpeller les gens sur le caractère éphémère et vieillissant à la fois de notre propre corps et des lieux. Il était très important de choisir des lieux qui ont à la fois une histoire et une mémoire, bien que laissés à l’abandon. J’essaie de montrer les espaces dans leur ensemble, toujours en relation avec moi, sans que je sois placé pour autant au centre de l’image.

ÊTRE PHOTOGRAPHE AU MALI

Q Quels sont les moyens aujourd’hui à Bamako de soutien et de financement de la photographie et des photographes ?
HD Aujourd’hui, il n’y a aucun accompagnement à l’endroit de l’art d’une façon générale au Mali et particulièrement de la photographie. Le ministère de la culture du Mali ne prévoit que 0,45 du budget national à la culture et plus de 80% de ce budget est alloué au fonctionnement de ce ministère. Vous comprenez qu’il n’y a rien pour la culture de façon générale, et à plus forte raison pour la photographie. L’Union Européenne était le principal bailleur de fonds de la culture malienne, mais avec la crise, ils ont gelé leurs financements. Les photographes maliens ne disposent d’aucuns moyens sociaux ou de communication pour soutenir leur profession. Chacun essaie de se battre à sa façon pour survivre.

Interview réalisée par écrit le 27. 07. 2014

Harandane Dicko

photographe

vit et travaille à Bamako,
Mali

*1978

biographie