La dynamique des femmes

Interview avec Malika Diagana à Dakar, 2014

Pour moi les linguères d’aujourd’hui, ce sont toutes ces femmes qui sont dans la société, qui sont dans le milieu culturel que je fréquente et qui arrivent à imposer quelque chose. Mais elles tiennent à ce qu’elles font par passion, par amour. Ce sont des comédiennes, des bloggeuses culturelles, des chanteuses, des modèles, ce sont toutes ces femmes-là jusqu’à celles qui sont dans le village, qui vivent encore de façon traditionnelle et qui restent des femmes de rigueur.

Quand on vous dit que « vous êtes une linguère », tout le compliment est pour vous. Cela signifie que vous êtes une femme de principe, une femme de rigueur et belle de surcroit.

« LES LINGUERES », CE SONT CES FEMMES DANS LES ANNEES 1800 QUI ETAIENT SOIT DES FILLES DE ROIS, SOIT DES FEMMES DE ROI.

LE NOIR ET BLANC ME PARLE BEAUCOUP PLUS EN MATIERE DE SENTIMENTS QUE LA COULEUR.

DES PHOTOGRAPHES ENGAGÉS

Q  Avec Elise Fitte-Duval, nous avons évoqué le mouvement du 23 juin [2011] qui a eu lieu à Dakar et pendant lequel beaucoup de photographes sénégalais se sont engagés. Etait-ce le cas pour vous aussi ?
MD  Pour moi, l’art a vraiment eu raison de faire descendre la population dans la rue et de demander le changement. À ce moment-là, l’art est intervenu comme un facteur de changement. Les gens n’en parlaient pas trop, mais ça se voyait, parce que grâce à la photographie et aux photographes, cela a permis aux gens de retracer ce qui s’était passé. Les rappeurs, par leurs voix, ont amené les gens à descendre dans la rue et à demander qu’Abdoulaye Wade s’en aille.

EXPOSER DANS LA RUE POUR DIFFUSER DES MESSAGES

Q  On a souvent essayé de montrer la photographie dans la rue à Dakar, à Bamako, à Johannesburg en Afrique du Sud. Que pensez-vous du fait d’exposer des photographies dans la rue ? Quels sujets photographiques choisiriez-vous, si vous deviez faire du « street art » ?
MD  Il y a une série de portraits que j’ai commencé à faire avec des messages, du body-painting. J’ai repris l’idée du graffiti sur les murs où c’est le corps humain qui devient le support. Les messages vont en direction de la population. Mon idée a été d’écrire ces messages sur des parties du corps. Ces messages peuvent parler de savoir, de civisme, de ce genre de choses, sur un dos ou sur une main. On avait fait un petit workshop avec le Goethe Institut sur l’ADN urbain de Dakar. J’avais fait une série de portraits sur ce sujet. J’avais demandé à un graffeur de dessiner des messages que j’ai ensuite pris en photo. J’ai fait plusieurs images déjà et le projet continue. Dans le cadre d’un autre projet, je suis aussi en train de prospecter ce que l’on appelle « lap skin ». Ce sont ces pommades que l’on utilise pour se blanchir la peau ou bien ces défrisants qu’on se met sur les cheveux et qui brûlent le cuir chevelu. L’idée serait de faire des macros. Pas de montrer des visages, mais de montrer les dommages que cela fait. Je pense que ce sera très intéressant de traiter ce sujet dans la rue. Je pense que les femmes ont besoin de ne plus avoir ce complexe qui n’est pas forcément donné par l’Occident, mais par les hommes qui pensent qu’une femme blanche, c’est beaucoup mieux qu’une femme noire ou bien qui disent : « on les aime blanches ». Les femmes, à cause de ce regard masculin, vont se blanchir la peau et font n’importe quoi. Elles utilisent de l’eau de javel, des choses qu’on ne peut vraiment pas imaginer. J’en connais certaines qui peuvent témoigner : si elles avaient connu les dommages occasionnés, elles ne l’auraient pas fait. Beaucoup ne savent pas. C’est surtout la jeune génération qu’il faut informer. Une enfant de neuf ans qui passera devant une photo, sera choquée de voir ça et demandera sûrement ce que c’est. On lui dira : « Ça, ce n’est pas bien, il ne faut pas faire, c’est interdit, ne le fais jamais ».

LE NOIR ET BLANC, LANGAGE DES SENTIMENTS

Q Vous avez choisi le noir et blanc pour la série Les linguères [2011-2013], comme pour beaucoup d’autres aussi. Est-ce que l’usage du noir et blanc est essentiel pour cette idée de monumentaliser les femmes ?
MD Non. En fait, je ne sais pas comment ça m’est venu clairement, mais je sais que lorsque j’ai commencé la photographie, dans ma famille, j’avais un oncle photographe qui avait un studio de photographie en 1969 à Saint-Louis. Le studio s’appelait « artistin ». Avec une amie, on est allé au musée de l’enfant à Saint-Louis, et là, j’ai découvert certaines de ses photographies qui sont archivées là-bas. Je savais qu’il faisait de la photographie, mais je ne m’étais jamais intéressée à son travail. À ce moment-là, je me suis intéressée à son travail en noir et blanc et ça m’a parlé beaucoup plus que la couleur, à cause du concept d’ombre et de lumière. Les ombres servent à révéler les formes, et la lumière, à révéler l’image, car on sait que sans lumière, la photo serait vraiment toute noire et qu’on ne pourrait pas la lire. Le noir et blanc me parle beaucoup plus en matière de sentiments par rapport à la couleur. Je fais du noir et blanc, je ne sais pas quel mot utiliser, mais ça me parle beaucoup. C’est intemporel pour moi car avant de connaître la couleur, on était en noir en blanc. C’est comme si on retournait des années en arrière. J’aurais aimé retrouver cette époque, là où on photographiait, là où on faisait des agrandissements, pas avec Photoshop, mais avec le matériel qu’il fallait pour faire de l’argentique, la source de la photographie. Le noir et blanc est venu comme ça, et c’était un moyen pour moi de me démarquer de toutes les autres photographies, car on est quand même assez nombreux à faire de la photographie. Il fallait trouver quelque chose pour avoir un style. C’est venu comme ça. Au fur et à mesure que j’ai traité mes photos, j’arrivais à découvrir comment les traiter pour avoir un rendu argentique à l’impression. C’était ça, mon objectif. Si j’avais le choix aujourd’hui, je referais peut-être de l’argentique, on ne sait jamais.

Interview réalisée à Dakar, Liberté 6, 20. 06. 2014
par Marion Jäger, Bärbel Küster, Alicia Hernandez Westpfahl

Vendeur de Café, Médina de Dakar

Série « Dakar Urban Life »
Malika Diagana, 2014

Princesse à la noix, Série « Dakar Urban Life »

Malika Diagana, 2013

Linguère, Série « Linguères »

Malika Diagana, 2014

Linguère, Série « Linguères »

Malika Diagana, 2014

Linguère, Série « Linguères »

Malika Diagana, 2014

Ken Aisha Bloggeuse, Série « Cultural Linguere »

Malika Diagana, 2014

Jeune Fille, Série « Dakar Urban Life »

Malika Diagana, 2014

Graffeur Tacher Beaugraff, Série « Dakar Urban Life »

Malika Diagana, 2014

Becaye Souare, Série « Dakar Urban Life »

Malika Diagana, 2014

Graffeurs RBS CREW, Série « Dakar Urban Life »

Malika Diagana, 2014

Malika Diagana

photographe

vit et travaille à Dakar,
Sénégal

*1982

biographie