












Tournage avec Malick Sidibé
Bamako, 2011

Vue de l'exposition « Bamako-Dakar. »
Stadthaus Ulm, 2014

Portrait de groupe dans le studio de Malick Sidibé
Équipe des interviewers, 2011

Malick Sidibé commentant ses albums photographiques
Tournage de l'interview, Bamako, 2011
Attirer l’attention, mettre en valeur ce que tout le monde voit mais ne regarde pas. Photographier, pour moi, c’est d’abord mettre en valeur.
Toute l’économie de la photographie est basée sur les événements et les fêtes. Mais il ne faut pas voir cette pratique comme de l’art.
Le maquillage des corps est une manière pour moi de contourner l’interdit et de jouer avec les codes culturels tout en restant respectueux des coutumes.
30% DE MON TRAVAIL EST L’EFFET DU HASARD.
TOUT LE MONDE EST ARTISTE
Q Comment décririez-vous le contexte de travail d’un photographe sénégalais ?
OD Au Sénégal, en général, la carrière d’artiste est envisagée quand on ne réussit pas à l’école. On est influencé par un frère musicien ou photographe. Mais il n’y a pas d’école pour devenir photographe au Sénégal. Toute l’économie de la photographie est basée sur les événements et les fêtes. Le samedi et le dimanche, ce sont des baptêmes, des mariages, à n’en plus finir. Les femmes se maquillent, s’habillent, et les photographes sont là pour les photographier. C’est ainsi qu’ils gagnent leur vie, en faisant ce genre de photos. Mais il ne faut pas voir cette pratique comme de l’art. C’est le regard européen qui reconnaît de l’art dans ces productions. Ce sont les Européens qui s’intéressent aux vieilles photographies d’un photographe qui vivait ici il y a 40 ans et à l’histoire de l’art. Nous, on ne considère pas ça comme de l’art. Ce sont des photos, des vieilles photos. Il faut aussi ajouter que nous sommes ici dans un contexte où il n’y a pas, comment dirais-je, où il n’y a pas de juge. Tout le monde est artiste, tout le monde est photographe, tout le monde est tout le monde.
SANS TRÉPIED
Q Vous avez été formé à l’École des beaux-arts d’Anvers. Pouvez-vous nous en parler ?
OD J’ai beaucoup appris à Anvers. Parce que, comme je l’ai expliqué, en Afrique, on travaille au « feeling », mais il nous manque la technicité. On n’est pas techniques, on ne respecte pas les normes. On manque d’écoles pour former les artistes. Il y a beaucoup de talent ici, mais parfois ça n’est pas assez canalisé. Une bonne méthode ne produit pas forcément un bon travail, inversement un travail potentiellement bon sans méthode peut être gâché. Notamment en photographie, l’usage du trépied par exemple est rare, trop rare. Moi-même je n’en ai pas ! J’utilise des livres, je bricole un truc, je me débrouille comme ça. Je m’en sors et je trouve ça amusant ! Je pourrais acheter un trépied, mais je préfère me débrouiller. C’est toute la contradiction. Il est important d’avoir des connaissances techniques, mais il faut aussi accueillir le hasard et ses surprises. 30% de mon travail est l’effet du hasard. Ce qui compte finalement, c’est le sujet. Toujours savoir ce qu’il faut photographier. Attirer l’attention, mettre en valeur ce que tout le monde voit mais ne regarde pas. Photographier, pour moi, c’est d’abord mettre en valeur.
HISTOIRES DE CHAUSSURES
Q Vous nous disiez qu’en tant que photographe, vous aimiez dévoiler la beauté des choses considérées plutôt comme laides. Pourriez-vous revenir sur cette idée ?
OD Pour vous répondre, je vais vous parler d’Ahmadou Bamba. Vous connaissez le mouridisme ? Non ? La tradition mouride est un courant religieux ou mouvement spirituel sénégalais. Le Sénégal est un pays musulman où la confrérie des Mourides incarne quelque chose de très fort. Des milliers de gens sont impliqués dans le mouridisme, qui voue un culte au grand marabout, le Cheikh Ahmadou Bamba, et à ses disciples. Il y a une histoire que j’aime bien raconter à ce sujet. Supposons que tu trouves des vielles babouches. Tu commences par les jeter parce que tu dis : « mais qui est-ce, qui a amené ces chaussures de merde là, hein ? » Et le lendemain, tu apprends que ce sont les chaussures du grand marabout. Alors tu iras les chercher partout dans la poubelle, parce que tu comprendras qu’elles ont de la valeur. J’aime bien donner cet exemple pour parler de la valeur de quelque chose. Il y a deux ans, j’ai exposé à la biennale de Dakar et j’ai voulu m’intéresser à une autre histoire de chaussures. Dans un quartier populaire, je me suis inspiré d’un cordonnier qui, pour vendre sa marchandise, avait accroché sur un arbre toutes les vielles chaussures qu’il avait ramassées, nettoyées puis réparées. Je lui ai demandé s’il était d’accord que je photographie son installation. Parce qu’il avait fait là une installation sans le savoir. Quelqu’un qui n’habite pas ici aurait eu davantage de difficultés je crois à photographier la situation. Le marchand aurait peut-être refusé, ou il aurait posé des questions. Pour chaque photographe, c’est vraiment le problème de l’environnement qui se pose. L’environnement culturel et la place qu’il y occupe.
PHOTOGRAPHIER LE VENT
Q Qu’est-ce qui vous intéresse dans le corps féminin ?
OD Oui, effectivement, mon sujet de prédilection, c’est la femme. Elle intéresse tout le monde, mais dans le monde musulman, il n’est possible de montrer ni son visage ni sa peau. Je me suis donc dit que j’allais la photographier comme je photographierais le vent. Parce que le vent, tu le sens, mais tu ne peux pas le dessiner. Tu peux seulement dessiner ce que remue le vent. Visuellement, le vent est un élément abstrait. C’est quelque chose qui en même temps existe et n’existe pas. C’est ainsi que j’en suis venu à recouvrir le corps féminin de terre et de couleur. Mes séries photographiques consacrées aux femmes suscitent en général deux réactions. D’abord, on me demande si ce sont des peintures. Il faut effectivement regarder en détails les images pour comprendre que ce sont des photographies. Puis vient la question de la couleur de peau des modèles : sont-elles blanches ? L’usage de l’argile blanche crée cette impression, mais ce sont toutes des femmes noires, et musulmanes. Le maquillage de leurs corps avec de la terre est une manière pour moi de contourner l’interdit et de jouer avec les codes culturels tout en restant respectueux des coutumes.
PHOTOGRAPHIE ET MISE EN SCÈNE
Q Vos séries sur les femmes sénégalaises sont traversées par un mouvement, une énergie. Elles évoquent aussi une danse, voire une cérémonie. Sont-elles la documentation de célébrations particulières ?
OD Oui, ces photographies sont les documents d’une mise en scène. Mon travail commence par le vide. Puis j’achète un tissu noir, j’enduis les corps de terre mélangée dans l’eau, j’ajoute différentes poudres colorées. Il faut imaginer qu’il y a du mouvement, de la musique, des temps d’arrêt. Prochainement, je veux réaliser un projet de performance avec vingt femmes qui porteront des calebasses remplies de terre. Elles seront habillées de grands pagnes noirs. La performance sera accompagnée par une musique de village. Tandis que les modèles commenceront à se laver avec la terre, la musique ira crescendo. L’ensemble sera accompagné par trois peintres qui réaliseront en direct des peintures. Un mélange de couleurs et de sons. La première musique achevée, on entendra un sabar, puis des lutteurs arriveront. Mon travail de photographe commence souvent avec la chorégraphie d’un défilé. De la terre au numérique, de la peinture à la photographie, en passant par la danse et la musique.
Interview réalisée à Dakar, Liberté II, 21. 02. 2011
Par Bärbel Küster, Marleine Chedraoui, Judith Rottenburg, Janine Schöne, Tanja Schütz

Tata Konaté et ses enfants
Emmanuel Bakary Daou, juillet 2016

Les frères Konaté
Emmanuel Bakary Daou, juillet 2016

Les frères Konaté
Emmanuel Bakary Daou, juillet 2016

Le poulet du fétiche
Emmanuel Bakary Daou, juillet 2016

Le patriache de Sensara
Emmanuel Bakary Daou, juillet 2016

La case au fétiche
Emmanuel Bakary Daou, juillet 2016

Kotigui et Fatoma dans la case au fétiche
Emmanuel Bakary Daou, juillet 2016

Fatoma le géomacien
Emmanuel Bakary Daou, juillet 2016

Alou joue sous la moustiquaire
Série « Chambres maliennes », n° 23
Mohamed Camara, 2002-2003

Certains matins, je vois ma chance qui me tend toujours la main
Série « Certains matins », n° 54
Mohamed Camara, 2005
Ce qui m’a toujours interpellé, c’est le rapport de l’homme à son image. J’ai voulu comprendre quel était ce rapport et c’est la raison pour laquelle j’ai voulu devenir photographe.
Chez nous, la photographie remplissait essentiellement la fonction de fixer l’instant. Les photographies de Seydou Keïta ou de Mama Casset sont des images qui marquent le moment. Aujourd’hui, cette pratique de la photographie de l’instant fait partie de l’histoire.
LE RAPPORT DE L’HOMME À LUI-MÊME EST TRÈS VITE BIAISÉ PAR D’AUTRES ENJEUX.
Il y a un mystère caché derrière la photographie qui ne se limite pas à sa fonction d’enregistrement.
LE RAPPORT DE L’HOMME À SON IMAGE
Q Comment présenteriez-vous votre travail dans les grandes lignes ?
DS Je suis photographe de presse pour vivre et photographe-artiste pendant mes moments de liberté, ce que je préfère d’ailleurs. Si je suis obligé de gagner de l’argent avec une activité de photographe-reporter, je préfère mon activité artistique ; c’est pourquoi dans mes travaux même journalistiques, j’essaie d’avoir une démarche artistique et pas simplement documentaire. Il y a un mystère caché derrière la photographie qui ne se limite pas à sa fonction d’enregistrement. Ce mystère-là m’a interpellé. Je me souviens d’un photographe qui venait tous les samedis dans mon quartier à l’occasion d’une fête, d’un mariage ou d’un baptême qu’il devait photographier. A cette époque – je devais avoir 23 ans – tout le monde attendait avec impatience de découvrir sa photographie qui arrivait dans les quinze jours suivants, lorsque le photographe venait livrer sa production. Je me souviens que tout le monde était là, anxieux, à l’arrivée du photographe. Une fois arrivé, il sortait son paquet de tirages, c’étaient des photos noir et blanc, et chacun était curieux de savoir à quoi il allait ressembler sur les images. Ce qui m’a toujours interpellé dans cette situation que j’ai vue tant de fois, c’est le rapport de l’homme à son image. J’ai voulu comprendre quel était ce rapport et c’est la raison pour laquelle j’ai voulu devenir photographe. J’étais persuadé qu’avec la photographie, on pouvait découvrir quelque chose. Surtout concernant les émotions, les sentiments, le regard. Le rapport entre l’homme, l’image et lui-même.
Un point de vue historique sur la photographie de studio
Interview avec Djibril Sy à Dakar 2014
COMPRENDRE UNE IMAGE
DS Savoir lire une image, pour moi, c’est la comprendre. Une photographie, c’est un moment de vie, c’est l’image d’une personne qui ressent quelque chose à un moment donné. Il faut aussi prendre en compte les émotions de la personne qui a pris la photographie. Ce que l’on voit, c’est un dialogue entre le photographié et le photographe. Et quand on regarde la photographie, on a envie de comprendre tout cet ensemble : pourquoi a-t-il pris cette image ? Pourquoi à ce moment précis ? Qu’a-t-il vu dans le regard de cette personne, dans telle ou telle situation, dans cet espace ? Quand je regarde les photographies de Seydou Keïta, je trouve ça très beau. C’est beau graphiquement, les personnages sont très beaux, etc., mais je veux comprendre ce qui se passe. Pourquoi cette jeune fille par exemple a voulu se faire photographier avec son téléphone ou sa radio. C’est ce qui fait la beauté de l’image. La beauté purement esthétique de l’image ne m’intéresse pas. C’est ce qu’elle signifie qui m’importe. La beauté, on la trouve partout. Même dans ce que l’on pense n’être pas beau, il y a quelque chose de beau. Les photographies que l’on faisait en Allemagne, aux États-Unis, en France ou ailleurs à l’époque de la naissance de la photographie montraient la même chose. Le rapport de l’homme à lui-même. La photographie est comme un miroir. On peut utiliser la photographie aussi à des fins scientifiques ; mais ce qui est fondamental pour moi, c’est que nous avons toujours besoin de rêver. Et la photographie nous permet de temps en temps de rêver, parce qu’elle est poésie, parce qu’elle nous permet aussi de connaître notre histoire. En Occident, on utilise la photographie depuis longtemps comme document et comme moyen d’écriture de l’histoire. Chez nous, la photographie remplissait essentiellement la fonction de fixer l’instant. Les photographies de Seydou Keïta ou de Mama Casset sont des images qui marquent le moment. Aujourd’hui, cette pratique de la photographie de l’instant fait partie de l’histoire. C’est une écriture qui est restée là. Alors nous, nous devons la lire, nous ne devons pas simplement la regarder, si on veut la comprendre.
Q Peut-on parler d’une histoire commune ou globale des images, celle de l’homme dans son rapport à lui-même ?
DS Le rapport de l’homme à lui-même est très vite biaisé par d’autres enjeux. Pour vous donner un exemple : les gens qui allaient en Europe se photographiaient systématiquement. Surtout en France, parce que nous faisions partie des colonies françaises. On se photographiait devant la Tour Eiffel, devant l’Arc de Triomphe, devant le Sacré-Cœur. Mon père l’a fait. Le père de presque n’importe quel sénégalais, ou le grand-père qui a été soldat en France, l’ont fait. C’était une manière de montrer que l’on a réussi. Que l’on connaît les lieux incontournables de la France. Une propagande, qui ne dit pas son nom. En tout cas, ça s’est passé entre les Africains et l’Europe. La photographie a rempli ce rôle de médium. Avec ces images ramenées de l’Europe pour les montrer à nos amis et nos parents, on a sublimé la France.
Être photographe de presse et artiste
Interview avec Djibril Sy à Dakar 2011
IMAGES DE PRESSE
Q Comment caractériseriez-vous votre travail journalistique, les reportages que vous réalisez dans un contexte de presse ?
DS Dans un contexte de presse, surtout de presse locale, la photographie est utilisée pour illustrer. La plupart du temps, on se demande pourquoi telle ou telle image a été placée dans tel ou tel article. La première raison, bien souvent, c’est que l’on pense à ceux qui ne savent pas lire le français. On regarde l’image, plutôt que de lire le titre. Celui qui sait lire le texte n’aura pas de besoin de regarder l’image, car elle ne dit rien de plus. La photo est plate, elle est seulement là pour occuper de l’espace, mais elle ne raconte pas grand-chose. Heureusement aujourd’hui, avec la nouvelle génération, on commence à raconter des histoires avec la photographie. Ça commence. Ce n’est pas encore vraiment installé, car les maisons de presse n’ont pas les moyens de payer correctement les photographes. J’essaie le plus possible de travailler sur des projets de reportage dont on a dégagé un concept, mais où l’autonomie du photographe est respectée par rapport aux attentes et aux visions de la rédaction et de l’auteur du texte. L’image vient compléter et non répéter le propos d’un article.
L’OCCIDENT EST LÀ
Q Y a-t-il parfois des images que vous réalisez dans le cadre d’un reportage et que vous réemployez ensuite dans le contexte de votre travail artistique ?
DS Oui, cela arrive parfois. Parce qu’au moment de prendre cette photographie, j’avais une liberté de faire. J’ai pu choisir l’angle, le cadrage, la durée d’exposition. Mais cela concerne peu d’images : une image sur deux-cents, sur trois-cents. Cela concerne une image où j’ai pu me laisser aller. C’est toujours un grand bonheur que de découvrir une pareille image parmi les autres. Je vois qu’elle interpelle – et pas seulement moi, mais les autres. Ces images frappantes peuvent concerner des moments très durs d’ailleurs, raconter une histoire choquante. Tout à l’heure par exemple, dans la série que je vous ai montrée sur la guerre au Libéria, se trouve l’image d’une femme qui est venue, parce que l’on a enterré son enfant dans la fosse commune alors qu’elle ne voulait pas. Elle est venue pour reprendre sa petite fille morte et lui offrir une vraie sépulture. Le service d’hygiène, le docteur, lui disent : « Non ! On ne peut pas te donner l’enfant. » Alors elle s’est mise à pleurer et à crier qu’elle ne partirait pas sans son bébé. C’est à ce moment-là que j’ai pris mon appareil et que je l’ai photographiée. Elle était envahie de douleur. Sur le moment, ce qui m’a intéressé, c’était son histoire, ce qui était en train de se passer. À mes risques et périls. Je prenais des photos quasiment « sans réfléchir ». Je réfléchissais à ce que je faisais, mais j’étais comme absorbé par cette femme qui faisait des gestes tellement larges, qui criait tellement fort, qui se mettait par terre. Son mari est arrivé et il m’a presque frappé, pour que j’arrête de photographier. C’était tellement important pour moi à ce moment-là que j’ai continué. Sur l’une des images, on voit cette femme en train de crier et l’on voit aussi distinctement son T-shirt sur lequel est marqué « Paris, la Tour Eiffel » et « Paris, ici ». Elle était comme ça sur le goudron. Une femme qui a perdu son enfant au Libéria, une femme africaine dans la douleur et voilà l’Occident qui est là. Les symboles de l’Occident sont là. Et cette omniprésence de l’Occident est indissociable de sa douleur.
Interview réalisée à Dakar, Hotel Miramar, 23. 02. 2011
Par Bärbel Küster, Marleine Chedraoui, Judith Rottenburg, Janine Schöne, Tanja Schüz

Affiche du film « L’autre en moi »
Fatou Kandé Senghor, 2012
Accepter la réalité des autres. Accepter que d’autres mondes soient possibles. C’est justement ça qui m’intéresse dans l’image. Qu’une photographie montre les aspects contradictoires de la réalité, les ressemblances et les différences, parce que la réalité est traversée de contradictions.
Il y a une expression en Wolof qui dit que si le travail devait choisir, il choisirait la personne qui va l’exécuter, parce qu’il sait exactement qui va le mener à bien.
MA PHOTOGRAPHIE, JE LA RÊVE BEAUCOUP PLUS QUE JE NE LA PRODUIS.
MON TRAVAIL, AUJOURD’HUI, SE SITUE FORCEMENT EN INTERMÉDIAIRE. JE SUIS ENTRE MA CIBLE DE DÉPART ET MA CIBLE D’ARRIVÉE.
LA PHOTOGRAPHIE ET L’ART
Q Quelle est la situation des femmes photographes au Sénégal ?
FKS La photographie a été un métier très honorable ici, parce que la photographie de studio, comme vous le savez, entre le Mali, le Sénégal, le Niger, et cette partie de l’Afrique, a bénéficié d’une riche histoire. Tout a été archivé. Mais ça n’était pas catégorisé comme métier d’art. Des hommes ont gagné leur vie très décemment, ont nourri des familles avec cette activité. Il s’agissait d’un métier qui se transmettait dans la famille. La photographie d’art s’est développée complètement en marge de la photographie de studio. C’est un nouveau courant qui s’est constitué par rapport à la plateforme internationale que l’on nomme « l’art contemporain ». La photographie contemporaine n’est pas née ici. Jusqu’à présent le photographe n’était pas considéré comme un artiste. Pendant longtemps, le milieu de l’art ici est resté focalisé sur la peinture et la musique et refusait que la photographie soit intégrée dans les arts visuels. Nous photographes vivons sur deux rythmes : d’un côté, sur le rythme local où nous vivons donc d’une photographie-type, qui est attendue par les nôtres ; et d’un autre côté, nous pratiquons la photographie créative que l’on trouve dans les magazines, les expositions spécifiques, celles qui s’intéressent tout particulièrement au médium de la photographie.
LES FEMMES
Q Pensez-vous que les femmes-photographes gagneraient à s’associer à Dakar par exemple, afin d’être plus fortes ?
FKS Les femmes n’ont pas besoin de créer une association. Je pense que la notion de genre, homme ou femme, est importante quand il y a un besoin, quand il y a un objectif clair, bien déterminé, une action vraiment soutenue qui sert à quelque chose. Mais association pour association, pour se réunir autour de quoi ? Très vite, on devient un instrument. Être ensemble, parce que ce sont des femmes et non parce que ce sont des photographes avec un objectif. Ce serait vraiment dommage et je pense qu’aujourd’hui, la notion d’association au Sénégal ne peut pas tenir. Les dysfonctionnements sont réels. Les gens ont des problèmes à résoudre dans leur vie quotidienne et ne peuvent pas résoudre ceux d’une association avant d’avoir trouvé des solutions pour réaliser leurs propres projets de vie. Un mouvement associatif demande beaucoup d’investissement que les gens ne peuvent honnêtement offrir. Pour qu’une pareille entreprise fonctionne, il faut quelqu’un qui organise, qui interpelle les gens et leur demande d’apporter leurs images, d’alimenter le site web, etc. Autant de moyens qui, au lieu de nous rassembler, finiraient par nous diviser, parce qu’il faudrait prendre des décisions que tout le monde ne peut pas toujours accepter, les gens étant très différents. D’après moi, les mouvements associatifs créent plus de problèmes qu’ils n’apportent de solutions.
Q Dans votre travail, la photographie semble servir de prétexte pour entrer en contact avec des femmes ?
FKS Absolument. Mon travail, aujourd’hui, se situe forcément en intermédiaire. Je suis entre ma cible de départ et ma cible d’arrivée : les interlocuteurs. J’ai trouvé une stratégie. Avec l’esthétique, on peut interpeler les gens et instaurer un dialogue. L’esthétique n’étant pas toujours une belle image. Il peut s’agir d’une image sanglante, forte, mais agencée de manière à ce qu’elle vous accroche. On s’arrête alors pour regarder et pour comprendre. Quand j’interpelle mes interlocuteurs, ou mon public, j’ai besoin qu’ils comprennent que je suis en train de dire quelque chose, et s’ils s’arrêtent assez longtemps sur l’image, ils verront forcément qu’il y a un dysfonctionnement. Ce dysfonctionnement les poussera à se poser des questions que je ne pourrai pas résoudre dans la photographie, mais je donnerai un autre élément qui va les intriguer, qui va peut-être les inviter à s’intéresser davantage à ce que je fais, ou en tout cas, à la nature du sujet qui est montré. Et là, ils pourront comprendre beaucoup plus encore. C’est la raison pour laquelle je complète mon travail photographique par un travail vidéo qui accompagne mes photographies, afin d’offrir l’opportunité d’aller un peu plus loin.
UNE ESTHÉTIQUE DE LA CONTRADICTION
Q Votre travail est construit sur l’exploration et la mise en évidence des contradictions. Vos photographies sont souvent de belles images montrant des sujets très durs. Pourrions-nous parler d’une esthétique de la contradiction ?
FKS Dans mon travail photographique – si je prends l’exemple du travail que j’ai mené sur les femmes qui sont dites de « couches défavorisées » – je m’intéresse au fait que ces femmes-là passent beaucoup de temps à rire. Elles ont un répertoire de blagues extraordinaires. Parce qu’elles travaillent de nuit, dans le froid, dans la chaleur, sous la pluie, elles sont obligées de trouver des moyens de se donner du baume au cœur. De recréer une vie intéressante au milieu de leurs vies très dures pour se donner de la force et avoir l’énergie de continuer. Parce qu’elles n’ont pas le choix. Lorsque l’on arrive là-dedans en tant que photographe, c’est la vie d’abord que l’on voit. Avant la pauvreté. Avant la dureté. Et ce qui m’intéresse, c’est de donner un visage à la vie. C’est ce qui nous rassemble tous, parce que nos ressemblances à travers le monde, quels que soient notre peau, notre âge, notre taille, sont bien plus fortes que ce l’on croit. Par contre, nos différences sont la plupart du temps fonction de notre environnement. Si l’on voit l’image d’une personne qui travaille dans un univers aride avec un sourire extraordinaire, on a, en tant que spectateur, le sentiment d’une fausse note. C’est clair. Mais c’est sa réalité. Elle doit vivre avec, elle doit essayer et n’importe qui face à cette photo doit se dire : « Elle doit avoir quelqu’un à nourrir. Elle doit avoir des gens derrière, qu’elle ne peut pas lâcher. » C’est pour ça qu’elle n’est pas assise sur un trottoir ou couchée quelque part, et qu’elle lutte avec cette terre. Ou c’est parce que sa croyance et sa force sont telles, qu’elle est capable de défier la nature et de dire : « Ok ! Tu es craquelée, tu es dure, mais moi, c’est ça que j’ai et aujourd’hui tu vas me donner une graine. Je vais planter quelque chose et ça va pousser. » Ce sont des leçons pour moi et ce sont des leçons pour les gens. Accepter la réalité des autres. Accepter que d’autres mondes soient possibles. C’est justement ça qui m’intéresse dans l’image. Qu’une photographie montre les aspects contradictoires de la réalité, les ressemblances et les différences, parce que la réalité est traversée de contradictions. Et cela n’a rien à voir avec la mise en scène. Ces contradictions se jumellent naturellement, dans l’image et dans la réalité montrée par l’image. On chante, on fait des blagues, on danse juste pour aller plus vite, travailler mieux et gagner son argent à la fin de la journée.
Q Votre travail est étroitement lié aux conditions de vie en Afrique ou à la vie sociale au Sénégal.
FKS Mon travail n’est pas foncièrement axé sur le Sénégal. Mon travail est axé sur les gens qui travaillent dur, sur les êtres qui, parce qu’ils n’ont pas le choix, ont la chance d’être plus humains finalement, parce qu’ils ne sont pas embarrassés de choses qui leur donnent l’impression qu’ils ont le pouvoir. Une impression qui les déshumanise. Je suis proche des êtres qui cherchent fort, qui ont des gens à aider, à nourrir et qui donnent un sens à leur vie. Et ces gens-là, on les trouve partout. Vivre, même dans un monde développé, ça a l’air d’être simple comme ça, mais ça n’est pas simple du tout. Les gens très pauvres ont du mal à comprendre qu’une femme occidentale se suicide, qu’un homme ou que des jeunes hommes rentrent dans une école et tuent des gens. Ils ont à manger, ils ont à boire. Or, tout ne se réduit pas au tube digestif. La nourriture doit être beaucoup plus complète pour être un être humain. Si je voulais résumer ma pratique photographique finalement, je dirais qu’elle cherche l’être. Chercher à être, chercher à rencontrer les autres et donc aussi à faire une sorte de boucle. De créer pendant un instant cette possibilité-là. C’est ce que j’essaye de faire dans mon travail.
ÊTRE L’AUTRE
Q La question du même et de l’autre, de l’identité et de la différence, du soi et de l’altérité, est au cœur de votre travail. Y voyez-vous un enjeu politique ? Au plan global, local ?
FKS Nous sommes tous des intermédiaires, qu’on le veuille ou non. Parce qu’il est important de savoir qu’il y a des gens qui comprennent vite et bien, et d’autres qui ne comprennent pas, qui ne veulent pas comprendre, dont l’intérêt est de ne pas comprendre. En fonction de toutes ces catégories, on est bien obligé d’avoir une réponse pour tout le monde, parce que nous sommes toujours questionnés. Parce que nous sommes l’autre. Nous sommes le différent. Mais en y réfléchissant bien, de mon point de vue, vous êtes l’autre, vous êtes le différent. Tout le monde se bat pour avoir la position centrale. C’est ce que j’ai voulu thématiser dans mon film « L’autre en moi » par exemple (2012). Je parle du monde dans sa globalité. Cette question commence déjà dans chaque petite maison. Ce problème se pose pour chaque couple. Dans le rapport entre frères et sœurs, dans le rapport avec les parents. Les parents veulent qu’on leur ressemble, on aimerait bien que les parents soient un peu plus comme nous. On aimerait bien que le petit copain soit un peu plus comme nous et lui aimerait bien que l’on soit un peu plus comme lui. La question de la différence est toujours l’origine.
C’EST LE TRAVAIL QUI CHOISIT L’ARTISTE
Q Cette récurrence du refus de la différence est-elle toujours une raison de travailler pour un artiste qui souhaiterait œuvrer pour plus d’ouverture, de tolérance, de curiosité ?
FKS Dans ce contexte, comme artiste, comme photographe, on se doit d’être des facilitateurs, des intermédiaires. De rendre la communication possible. L’art n’est pas quelque chose que l’on choisit. On a des pulsions qui nous mènent à ça, on est poussé vers ça, ou même, on rêve de ce que l’on va produire. Ma photographie, je la rêve beaucoup plus que je ne la produis. Selon moi, c’est ce qui signifie que l’on est choisi. C’est dans cet état-là que l’on comprend pourquoi on a accès aux choses : on a accès aux choses pour les redonner aux autres. Non pas, parce que l’on serait meilleur que les autres, parce que l’on aurait fait un travail plus profond que les autres. Tout le monde produit un certain travail, et chaque travail produit un effet différent sur le monde. Ce qui compte, c’est que ce sont les gens qui sont choisis. Le travail les choisit. Il y a une expression en Wolof qui dit que si le travail devait choisir, il choisirait la personne qui va l’exécuter, parce qu’il sait exactement qui va le mener à bien. Un artiste, c’est ça. Dans nos communautés, en Afrique, l’artiste c’était quelqu’un de très important. Si vous cherchez un artiste et que vous dites son nom, tout le monde saura dans quelle maison il habite. Même si on ne connaît pas son nom, on dira : « Ah ! C’est le type qui accroche des trucs bizarres. Oui, c’est celui-là. » C’est quelqu’un que les gens traitent avec un certain égard et cette personne respectée en profite pour dire des vérités à tout le monde, parce qu’on lui a donné un statut particulier, donc privilégié. C’est celui « qui ne fout rien », mais qui est là pour mettre sa sauce dans celle de tout le monde et qui est le réceptacle de tout ce qui se passe, parce que les jeunes viennent à lui, les vieux viennent à lui. C’est lui qui taquine les femmes, qui parle avec elles. Il sait quand quelque chose ne va pas. Il a l’audace de passer devant les vieux toujours assis sur les mêmes bancs et de leur dire : « Vous feriez mieux de vous occuper de vos familles, au lieu de passer la journée là, à dire n’importe quoi. » Tout le monde se dit, non mais quand même, il est culotté. Mais il a réussi à dire une vérité à ce moment-là. Être artiste incarne un statut déjà très privilégié que les politiques culturelles, les politiciens, les critiques, et toutes ces personnes censées entretenir un lien avec la connaissance sont censées renforcer, mais qu’ils ne renforcent pas. Ils ne le renforcent pas, parce que les artistes ont la grande bouche et parce qu’ils peuvent venir les affronter en leur disant : « Ce que vous faites, ça n’est pas bien fait. Ça devrait être fait comme ça, comme ça, comme ça. »
DES ARTISTES AFRICAINS
Q Votre travail bénéficie d’une réception internationale. L’usage de l’adjectif « africain » pour parler de « l’art africain » ou de la « photographie africaine », par-delà les diversités du continent africain, vous semble-t-il adapté ?
FKS Encore aujourd’hui, nous sommes toujours surpris du manque de connaissance des gens par rapport à nous, par rapport à notre continent. Nous avons dû apprendre, de par notre histoire, à connaître tout le monde, à déconstruire les idées des autres et à déconstruire aussi ce que nous sommes. Nous sommes conscients du poids des médias sur la perception de notre continent, même si comprendre les enjeux politiques nationaux et internationaux n’est pas chose facile pour des êtres ordinaires. Notre continent est lié à l’histoire globale et avoir conscience de cela, ne serait-ce qu’un tout petit peu, c’est la base de tout dialogue. J’ai rencontré des Français qui ne savaient pas que la France avait colonisé le Sénégal et qui étaient surpris que les gens ici parlent français. C’est extraordinaire, non ? Cela prouve à quel point le manque de connaissance est réel. Dans une galerie d’art contemporain à New-York, la curatrice racontait qu’elle allait organiser une exposition avec des photographes et des vidéastes africains. Une personne présente lui a demandé qui étaient les artistes. La curatrice répète : « Oui, les artistes sont africains. » Pendant dix minutes, le quiproquo s’est poursuivi, car l’interlocutrice ne pouvait pas imaginer que des Africains puissent être artistes, ou documentaristes. Finalement, elle s’est exclamée : « Ah ! Il y a une production photographique en Afrique. » Et la curatrice de poursuive, en me présentant : « Oui, cette dame est photographe par exemple. » Nous sommes toujours, quoiqu’il arrive, des intermédiaires. Il est capital pour nous tous d’apprendre à dialoguer avec la directrice d’une galerie d’art contemporain, et d’autres acteurs du monde de l’art ou d’ailleurs, et de dire, oui, bien sûr, il y a tout le travail de Seydou Keïta, de Mama Cassé, mais aujourd’hui, en Afrique, la photographie ne se résume pas aux portraits de gens qui ont mis un beau boubou.
Interview réalisée à Dakar, Mermoz, 22. 02. 2011
Par Bärbel Küster, Marleine Chedraoui, Judith Rottenburg, Janine Schöne, Tanja Schüz
Ce sont des moments. C’est ainsi que j’expliquerais ma pratique photographique et ce que certains appellent « poésie ».
Ce qui est sûr, c’est qu’à travers mes images, je montre ce que j’aime ; et toutes mes photographies, je les aime.
IL Y A, DANS LES « CHAMBRES MALIENNES », UNE SORTE D’HISTOIRE.
C’EST LA NOSTALGIE QUI A CONSTRUIT L’IMAGE.
LA POÉSIE DES IMAGES
Q Nombreux sont les commentaires sur votre travail qui qualifient vos images de « poétiques ». Qu’est-ce qu’une image poétique selon vous ?
MC Je ne sais pas, ce que c’est, qu’une image poétique ! Mais je sais, que ce que je fais, c’est ce que je n’arrive pas à dire. C’est ce que je fais en images. Si c’est poétique… peut-être. Ce qui est sûr, c’est qu’à travers mes images, je montre ce que j’aime ; et toutes mes photographies, je les aime.
Q Vous avez dit que vous faîtes de la photographie pour exprimer des choses que l’on ne peut pas dire avec les mots ; or, vos titres sont très expressifs.
MC Oui, il y a toujours une pensée derrière mes titres. Chaque matin, ma sœur montre quelque chose qui est étrange. Il y a, dans les « Chambres maliennes », une sorte d’histoire. J’aimerais lui offrir des fleurs, mais elle est endormie. Oui, cela tombe sur un moment où j’ai voulu entrer comme ça dans une chambre, où j’ai voulu parler à une fille que j’aime, mais je n’ai pas pu. Peut-être que c’est ça. Et c’est ce que j’ai pu montrer dans l’image. Ce sont des moments. C’est ainsi que j’expliquerais ma pratique photographique et ce que certains appellent « poésie ». C’est toujours lié à un manque. J’ai une petite fille, par exemple. Parfois, elle me manque – même si elle est là. J’arrive alors à faire une photo d’elle pour combler ce manque-là. C’est ce qui va donner une sorte d’« image poétique ». C’est la nostalgie qui va avec l’image. C’est la nostalgie qui a construit l’image.
NE DÉFENDRE LA CAUSE DE PERSONNE
Q Quel est d’après vous le rôle de la photographie ? S’agit-il de changer la société par exemple ? L’engagement politique du photographe vous semble-t-il important ?
MC Beaucoup de sujets politiques m’intéressent, mais ne sont pas les sujets de ma photographie. Je ne suis pas hypocrite. Tout sujet intéressant, tout sujet qui nous parle n’est pas une raison suffisante pour en faire des images. Il y a beaucoup de sujets d’actualité par exemple que je ne souhaite pas montrer. Je préfère montrer le côté gai de la chose. La joie. Faire plaisir aux gens. Pour vous donner un exemple : on m’avait contacté pour faire un travail sur les Maliens à Paris. J’aurais pu dire oui, mais photographier ceux qui sont en difficultés, même si j’ai toutes les autorisations, celles des personnes, celle de la mairie, etc., je pense que ce n’est pas mon rôle. Ce n’est pas à moi de montrer ceux qui souffrent à Paris. Cela doit se passer autrement. Passer par d’autres canaux que mon appareil-photo. Les sujets sur lesquels je travaille, ne sont « sur » personne. Je travaille juste pour moi. Pas pour une cause, ou pour les autres. Juste ce que j’aime.
UN SUCCÈS CRITIQUE
Q Vous avez un succès critique en Europe et dans le reste du monde. Comment percevez-vous votre réception hors du Mali ? Quelles sont les structures qui vous permettent de voyager ?
MC En Europe, j’ai eu de bonnes critiques. On me compare toujours avec d’autres moments de l’histoire de l’art. Certains mentionnent la peinture hollandaise du 17e siécle. D’autres parlent de Bernard Faucon et de ses « Chambres d’amour ». Sans les galeries, je n’aurais pas cette reconnaisssance et cette visiblité. J’ai une galerie à Stockholm et puis j’avais une galerie à Paris. A Bamako aussi, mais elle a fermé. J’ai eu des propositions pour rentrer dans une galerie à Dakar, mais cela ne s’est pas fait finalement. J’ai reçu des bourses pour aller au Sénégal et en Afrique du Sud. Je devais aller au Congo, et puis finalement, c’est tombé à l’eau.
Q Vous sentez-vous libre dans votre pratique de photographe ou bien sentez-vous la pression du marché et des galeries ? Du fait de votre succès…
MC Je fais ce que je veux. On me laisse tranquille. Je ne me mets pas la pression. Quand je n’arrive pas à faire quelque chose, j’arrête tout de suite. Des fois, je suis inspiré, je fais plein d’images, et d’autres fois, comme tout le monde, je n’arrive à rien faire.
Q Quels sont les artistes qui vous ont inspiré ? Avez-vous des modèles pour vous orienter ?
MC Pour m’orienter ?
Q Oui, une œuvre qui vous aurait particulièrement marqué.
MC Si je dis non, c’est méchant ?
Q Non.
MC Et bien c’est non. J’apprécie des artistes maliens, et africains, européens ou américains, mais je ne peux pas dire que j’ai eu le déclic en voyant le travail d’autres photographes ou d’un photographe en particulier. Je préfère rester vierge de toute influence, de peur de faire la même chose. Donc du coup je suis plus libre si je ne vois pas le travail d’autres photographes. D’ailleurs, ma liberté, c’est ce que les gens apprécient chez moi en général.
Q La Biennale de Bamako a changé de nom il y a plusieurs années. Après les « Rencontres de la photographie africaine », la Biennale a pris le nom des « Rencontres africaines de la photographie ». Que pensez-vous de ce changement ? Que pensez-vous du terme « photographie africaine » ? Vous sentez-vous « photographe africain » ? Est-ce important pour vous ?
MC Je me sens photographe africain, ça c’est sûr. Je n’avais pas de problèmes avec le premier nom de la Biennale. Le second nom veut être moins polémique. Plus poli.
Interview réalisée à Bamako, Point Sud (Torokorobougou), 10. 02. 2011
Par Marleine Chedraoui, Judith Rottenburg, Janine Schöne, Moritz Thinnes

Je retiens nos souvenirs
Série « Souvenirs »
Mohamed Camara, 2010

Certains matins, elle est la première à commencer la journée à la fenêtre
Série « Certains matins »
Mohamed Camara, 2006

Certains matins, ma cousine me fait des trucs que je ne comprends pas
Série « Certains matins »
Mohamed Camara, 2006

Dans ma jeunesse
Série « Souvenirs »
Mohamed Camara, 2010

Certains matins, je suis le cactus de Sibérie
Série « Certains matins »
Mohamed Camara, 2005

Les plus belles jambes
Série « Chambres maliennes »
Mohamed Camara, 2001

J'intègre ma passion dans la photo
Série « Chambres maliennes »
Mohamed Camara, 2001

C'est la chance qui est venue me saluer
Série « Chambres maliennes »
Mohamed Camara, 2001
Une collection correspond à un projet, à un point de vue. Il faut une méthode pour collectionner. Une cohérence qui permet aux images de devenir des documents.
LA DOCUMENTATION, C’EST LA MÉMOIRE D’UN PAYS, CAR LE QUOTIDIEN D’AUJOURD’HUI, C’EST L’HISTOIRE DE DEMAIN.
IL Y AVAIT DES MODES, DES FAÇONS DE SE MONTRER : C’ÉTAIENT DES MANIERES DE FAIRE.
SAINT-LOUIS ÉTAIT LA VILLE LA PLUS PHOTOGRAPHIÉE D’AFRIQUE.
COLLECTIONNER, DOCUMENTER
Q Comment avez-vous commencé la photographie ? Pourriez-vous nous parler de votre collection ?
AS J’ai commencé l’apprentissage de la photographie à la Maison des Jeunes de Saint-Louis en 1957, où je suis ensuite devenu directeur de la reproduction photographique. J’ai travaillé ensuite comme conservateur au Musée du Centre de Recherches et de Documentation du Sénégal à Saint-Louis. J’ai constitué aussi une importante collection personnelle de photographies de Saint-Louis et d’ailleurs qui documentent le passé colonial. Ma collection se constitue de positifs et de négatifs. J’ai des originaux, mais pas seulement. Des plaques, des tirages, des petits et des grands formats. Des publicités de l’époque de l’Entre-deux-guerres. Des cartes postales. La maison d’édition Revue noire à Paris a puisé abondamment dans ma collection privée pour réaliser son Anthologie de la photographie africaine [1998]. Certaines de mes images datent de 1915. Le Metropolitan Museum de New York a par exemple acheté une vingtaine de clichés issus de ma collection. De nombreuses collections ont disparu, des photographes ont jeté leur collection dans le fleuve, mais avec ma passion conservatrice, j’ai tout gardé. La documentation, cela m’a toujours intéressé.
Q Qu’entendez-vous par documentation ?
AS J’ai une formation de conservation, je ne laisse rien passer au hasard. Et la documentation, c’est la mémoire d’un pays, car le quotidien d’aujourd’hui, c’est l’histoire de demain. Parce que les photographies d’aujourd’hui seront dans vingt ou trente ans seront rentrées dans l’histoire. Les photographies de ma collection sont une partie de l’histoire. C’est leur utilité : elles restituent l’histoire, elles permettent d’écrire l’histoire. Même longtemps après. Selon une perspective toujours nouvelle car modifiée par les événements qui se sont déroulés entretemps. J’ai une documentation sur l’histoire de Saint-Louis. Quand je vois ces images aujourd’hui, je me dis que j’ai vécu l’histoire de cette ville et plus largement de l’Afrique de l’Ouest, depuis 1915, et que cela coïncide avec un certain moment historique de la photographie comme médium. Je me dis que j’ai vécu l’histoire par l’image. L’image est indispensable. Elle permet le développement d’un pays. De nombreuses erreurs du passé peuvent être ensuite évitées grâce à la circulation des images. C’est pourquoi je pense qu’une collection correspond à un projet, à un point de vue. Il faut une méthode pour collectionner. Une cohérence qui permet aux images de devenir des documents.
SAINT-LOUIS, UNE VILLE DE PHOTOGRAPHES
AS En collectionnant ces images, j’ai voulu constituer une documentation sur les habillements, les coutumes, les comportements, les modes de vie. C’est un travail sur le passé pensé pour le futur, pour les prochaines générations. La plupart des images que vous voyez ici représentent des fonctionnaires. Ils avaient les moyens. A l’époque, entre les deux guerres, il y a avait moins de pauvreté qu’aujourd’hui. Beaucoup d’images ont été produites par des amateurs et puis dans des studios aussi. Saint-Louis était riche, c’était l’élégance. Ici, sur cette image par exemple, on peut voir une famille métisse. Ce sont des photographies que l’on voit rarement, parce qu’elles n’ont pas beaucoup circulé en dehors du cercle privé. C’est une photographie amateur. Les professionnels ont plutôt produit des images de studio. J’ai vraiment essayé de nourrir ma collection avec des images à la fois venant du monde professionnel des photographes, mais aussi des pratiques amateurs.
SAINT-LOUIS ÉTAIT COMME PARIS
AS Saint-Louis était la ville la plus photographiée d’Afrique, puisque c’était la capitale de trois pays : de l’AOF [Afrique-Occidentale française], dont faisaient partie le Sénégal et la Mauritanie. Il y avait beaucoup de monde. Saint-Louis était comme Paris. Si je fais la comparaison, c’est parce qu’il y avait de l’abondance à Saint-Louis, des fonctionnaires et le commerce marchait bien. Il y avait des produits à exporter, de l’or, des produits manufacturés. J’avais dix ans en 1940 et lorsque j’allais à l’épicerie, je trouvais de tout. Il y avait beaucoup de Français : des cargaisons de militaires français, des commerçants, l’administration coloniale. Saint-Louis était une capitale et lorsque je suis allé pour la première fois à Paris, j’ai reconnu Saint-Louis.
Q Qui étaient les photographes dans les années 1950 à Saint-Louis ?
AS La ville comptait de nombreux photographes. Il y avait des Libanais, des Martiniquais, quelques Africains comme Doudou Diop, Meïssa Gaye, Doro Sy, Alioune Diouf et d’autres. Il y avait aussi des photographes européens. Des Anglais, comme Tatcher qui était le plus officiel des photographes, mais aussi des Français. Les premiers photographes étaient majoritairement des photographes, car ils voulaient garder une trace de leur passage.
Q Y avait-il une distinction entre les studios tenus par des Africains et les studios tenus par des Européens ?
AS Oui, il y avait une distinction. Les Africains allaient voir les Africains. Les Européens allaient voir les Européens. Les Africains nantis allaient dans les studios de Français, suivant les classes, suivant les couches sociales, on peut dire que les choses s’organisaient comme cela. En général, les Africains avaient beaucoup de clients parce que c’était le plus grand nombre. Les gens raffolaient de la photographie, car c’était quelque chose de nouveau, quelque chose que l’on ne voyait pas tout le temps.
Q Quels étaient les clients dans les années 1950 ?
AS Tout le monde voulait se faire photographier. Toutes les images que vous voyez ici, ce ne sont ni des pauvres, ni des riches, mais la classe moyenne. Comme je l’ai déjà dit, surtout des fonctionnaires, des marchands, des traitants, des commerçants. Nombreux assuraient le transport de marchandises entre Saint-Louis et Kayes. Le commerce du sel impliquait des hommes riches. Les négociants, comme nous disions à l’époque. En général, ils habitaient l’île de Saint-Louis. Lorsqu’ils se faisaient photographier, c’était pour imiter un peu les coloniaux. Il y avait globalement un pouvoir d’achat à Saint-Louis à cette époque qui concernait une bonne partie de la population et la photographie faisait partie de ces pratiques urbaines, c’était une mode. Malgré le passé et l’esclavage, malgré le contexte colonial, les gens se mélangeaient, il y bien sûr de la ségrégation, mais Saint-Louis était quand même une ville différente des autres villes africaines, parce qu’il y avait beaucoup de métis. En 1914, Blaise Diagne devient le premier député africain élu à la Chambre des députés française. Il avait été adopté par une famille métisse de notables à Saint-Louis.
Q Y avait-il des modes dans les manières de photographier, de choisir les fonds, etc., dans les studios à l’époque ?
AS Oui bien sûr. Chaque studio avait sa marque de fabrique. Ses fonds. Il y avait certains comportements, où le sujet trouvait des façons particulières de se positionner, de s’habiller, les gens copiaient les modes, ils se faisaient photographier suivant leur goût. Ici par exemple, on peut voir une photo privée qui n’a pas été produite dans un contexte de studio. On voit un homme métis, noble probablement, avec sa coiffure et sa tenue d’apparat, avec une femme métisse qui doit être sa servante. Il s’agit d’une situation courante, où l’on se fait photographier pour montrer son statut social. Vous voyez cette autre photographie, le couple sur un lit, vous avez aussi les enfants, les amis. Par exemple, ici, ce sont les deux sœurs en train de se faire photographier. Et vous voyez la position ? C’était des positions que les gens aimaient tout particulièrement adopter. Il y avait des modes de positions, d’une époque à une autre. Ce genre de position que vous voyez ici, c’était une façon de montrer ses bijoux par exemple. Ou bien cette autre image-là : vous voyez, avec ce petit meuble et leur sac, ils voulaient montrer ces objets. Celle-là voulait montrer son petit enfant. Ce sont des manières de faire, des manières de se montrer.
Q Et comment ces pratiques photographiques ont-elles évolué avec le temps ?
AS J’ai beaucoup photographié les cérémonies en plus de mon travail régulier. Avec l’arrivée de la couleur et les appareils plus légers et plus faciles à manier, on pouvait en tant que photographe gagner un salaire en une journée pendant les grandes fêtes. Aujourd’hui, avec le numérique, la photographie est dévalorisée. Il n’y a plus que la photographie de mode.
Interview réalisée à Saint-Louis, 22. 06. 2014
Par Bärbel Küster
L’écrivain, l’artiste plasticien, le poète sont là pour parler de la société. Le comédien et le dramaturge sont là aussi pour critiquer la société et sensibiliser la population. Nous faisons tous le même travail. La photographie aujourd’hui est une discipline qui influence les autres disciplines artistiques, notamment le théâtre qui est un moyen de communication et de sensibilisation, comme la littérature, comme la poésie.
À travers les rencontres, on a pu découvrir des photographes venant d’ailleurs qui savaient faire un travail contemporain. Ils sont venus exposer et la plupart des gens se sont demandé : mais quelle est cette photographie qui ne photographie même pas les hommes ?
ICI AU MALI, PARLER DE LA PHOTOGRAPHIE SIGNIFIE QUE L’ON PARLE DE L’HOMME.
LA PHOTOGRAPHIE AU MALI A SURTOUT UNE FONCTION DE SOUVENIR.
VIVRE DE LA PHOTOGRAPHIE DE REPORTAGE
Q Quelle est la situation d’un photographe vivant à Bamako ?
AS Au Mali, il y a deux types de photographes : ceux qui font de la photographie alimentaire et ceux qui ont une production artistique. La plupart des photographes vivent de leur production, c’est-à-dire surtout du reportage. Ils photographient les mariages, les baptêmes, les cérémonies. Le photographe se déplace de quartier en quartier pour faire la couverture des manifestations culturelles dans la ville. La majorité des photographes travaillent ainsi. Ensuite, il y a ceux que l’on appelle les photographes créatifs, les artistes. Ceux-là sont minoritaires. Ils vivent des expositions, des conférences, de la vente de leurs images. La vie d’un photographe au Mali est difficile, parce que les tirages ne se vendent pas. Les gens ne décorent pas les chambres, ils n’ornent pas les salons avec des photographies. La photographie a surtout une fonction de souvenir et ces images-souvenirs s’achètent à bas-prix.
LA MAISON AFRICAINE DE LA PHOTOGRAPHIE
Q Vous travaillez à la Maison africaine de la photographie. Vous avez très certainement un point de vue précis et intéressant pour comprendre comment les jeunes photographes maliens ont les moyens de travailler en tant que photographes aujourd’hui au Mali et par quels moyens ils peuvent développer leur pratique et exposer leur travail. Pourriez-vous nous décrire la situation ?
AS Pour montrer le travail des photographes à Bamako, nous disposons de la Maison Africaine de la Photographie. Il s’agit d’une structure étatique qui a pour mission la diffusion, la promotion et la collecte des images photographiques. La Maison dispose des moyens techniques pour monter une exposition, pour faire la promotion des photographes maliens. Bamako, en tant que capitale de la photographie, dispose aujourd’hui également des Rencontres africaines de la photographie qui a lieu tous les deux ans. Cette biennale est une vitrine internationale qui permet aux photographes de se faire connaître partout dans le monde. Enfin, nous disposons d’un fonds pour les artistes. C’est un programme financé par l’Union Européenne qui a vocation à soutenir la création. Pour avoir accès à ces subventions, il faut monter un projet et c’est ce qui est surtout difficile pour les artistes maliens, parce que vous savez, la plupart des photographes n’ont pas bénéficié d’un haut niveau d’éducation. Souvent, quand on leur demande de proposer un projet, ils rencontrent des problèmes pour la rédaction et la conception ; cela crée de la frustration. Le rôle de la Maison africaine de la photographie est important à ce niveau-là. Elle occupe une fonction de médiation, car elle monte des projets qui ensuite permettent aux photographes de financer leurs projets. Tout en les accompagnant sur leurs projets, la Maison réalise un énorme travail de diffusion pour la promotion des artistes maliens.
LA PHOTOGRAPHIE CONTEMPORAINE, UN NOUVEAU PHENOMÈNE
Q Les Rencontres africaines de la photographie à Bamako existent maintenant depuis bientôt vingt ans. Qu’ont-elles changé ? Tant pour le paysage artistique de la ville, que pour l’importance que l’on donne à la photographie dans la société ?
AS La photographie est un produit culturel. Ici, la relation entre les individus est très forte. Les gens aiment se souvenir. Les photographies d’album sont une tradition, une culture, une habitude. Différemment, la photographie contemporaine jette un regard sur d’autres domaines : elle regarde ce qui se passe autour de nous sans avoir besoin de montrer le visage d’un individu. Elle prend une partie de l’homme, ou bien elle travaille sur les objets. Il s’agit d’une photographie très récente ici. Les photographes maliens l’ont connue surtout à travers les Rencontres de Bamako ; parce qu’à travers les rencontres, on a pu découvrir des photographes venant d’ailleurs qui savaient faire un travail contemporain. Ils sont venus exposer et la plupart des gens se sont demandé : mais quelle est cette photographie qui ne photographie même pas les hommes ? Telle a été leur première impression. Cette photographie, encore aujourd’hui, ne touche qu’une petite partie de la population. Il y a des photographes qui ne sont pas là à Bamako, qui vivent dans les villages. Pour eux, travailler sur des sujets comme ceux que développe la photographie contemporaine, a l’air d’être bien peu de choses. Ici au Mali, je le répète, parler de la photographie signifie que l’on parle de l’homme. Une photographie suppose un homme présent dans l’image, mais pas un autre objet. Voilà ce qui explique que le portrait reste central pour la photographie malienne, même s’il est important de dire que d’autres photographes travaillent sur d’autres aspects de la photographie que le portrait. Aujourd’hui, nous avons pas mal de jeunes photographes qui évoluent dans le secteur, qui travaillent dans le domaine de l’art, qui sont dans la contemporanéité, qui travaillent soit sur des objets, soit sur des situations, soit sur des monuments, et qui n’ont donc rien à voir avec le portrait.
L’ART À SÉGOU ET À BAMAKO
Q Nous avons été très surpris de vous entendre dire que la galerie Chab Touré avait fermé ses portes à Bamako et déménagé à Ségou. Pourriez-vous nous expliquer un peu plus précisément pourquoi ?
AS Si la galerie n’a pas marché à Bamako, c’est pour une question de vision. Aujourd’hui, la ville de Ségou est reconnue comme le centre artistique du Mali. C’est devenu un passage obligatoire pour les touristes, pour les artistes. Quand un artiste vient au Mali, à Bamako, il visite obligatoirement Ségou, la ville du sud, qui est la destination privilégiée pour une galerie. Je pense que c’est ce qui a fait déménager Amadou Chap Touré à Ségou. Il a dû faire une enquête pour évaluer la faisabilité de son projet avant de déménager, parce que c’est un intellectuel. Je crois qu’il est philosophe de formation, il a fait des études d’esthétique à Paris, et des études de commissariat aussi. Il a certainement dû faire une étude de marché qui l’a mené à déplacer sa galerie à Ségou. Et de mon point de vue, je pense que Ségou est effectivement aujourd’hui un lieu incontournable. C’est devenu un passage obligé. Tout ce que l’on trouve à Bamako est passé par Ségou. C’est la ville des artistes.
Q Les Rencontres de la photographie à Bamako n’ont-elles pas changé la donne pour les galeries ? Avec un public, des galeristes voire des collectionneurs qui viennent à Bamako au moins tous les deux ans ?
AS Vous savez, les Rencontres africaines de la photographie à Bamako, c’est un mois précis. Les collectionneurs, les galeristes, sont là seulement pendant une semaine, ensuite ils s’en vont. Une semaine, c’est trop peu pour une galerie. Et Ségou n’est pas loin de Bamako, donc les personnes qui viennent à Bamako pour la Biennale, prennent toujours une ou deux journées pour aller à Ségou. De Bamako, ce sont seulement deux ou trois heures de route pour aller à Ségou. Après, il y a sûrement d’autres raisons que j’ignore pour lesquelles Amadou Chap Touré a décidé de déplacer sa galerie.
L’INTERVIEW COMME OUTIL DE TRAVAIL
Q Pourriez-vous nous dire quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?
AS J’ai un projet en tête, je souhaiterais travailler avec des jeunes photographes émergeants. Lorsque vous consultez le site internet de la Maison de la photographie, vous trouvez une rubrique « éditorial photo » dont je suis l’initiateur. Je choisis un jeune artiste, je l’interviewe, je crée un petit article sur lui, je recueille ses images et je mets tout cela en ligne sur le site. À partir de cette première étape, j’ai pensé développer une agence de photographie pour permettre aux jeunes photographes de communiquer et de se faire connaître, notamment des agences de communication qui peuvent se servir de leurs images pour leurs illustrations, leurs productions. Il est nécessaire d’instaurer des contacts dans le monde extérieur afin d’échanger et de faire la vente des images, ainsi que de promouvoir les jeunes photographes. C’est un projet en cours, j’ai été en contact avec une équipe hollandaise pour la conception de ce projet.
AS La forme de l’interview comme méthode m’intéresse tout particulièrement : c’est une approche participative et concrète. Lorsque l’on réalise une interview, on est en contact direct avec son interlocuteur. On est témoin de réactions directes suscitées par nos questions. On recueille des sensations, des expressions, des sentiments. Pendant l’interview, il n’y a pas de filtre entre moi et la personne que j’interroge, mais la retranscription vient ensuite installer une distance et une réflexion. On passe dans un mode indirect. Par un retour sur ses propos, la lecture de la retranscription permet à la personne interviewée de réfléchir à ce qu’elle pense de la situation. C’était un peu difficile au début, parce que les photographes que j’ai interrogés n’aimaient pas parler. Ce n’était pas facile d’exprimer ce qu’ils pensaient vraiment. Pour beaucoup, c’était leur première fois. Je leur ai donc proposé de commencer par me communiquer par écrit ce qu’ils pensaient concrètement de telle ou telle situation. C’est seulement ensuite que j’ai réalisé les interviews. J’essaie de me familiariser d’abord avec eux, pour ensuite pouvoir approfondir. L’ensemble du processus s’étale dans le temps, entre la première rencontre où j’explique ce que je veux faire et la réalisation finale de l’interview. En fait, il y a une intervention de l’écrit avant et après.
Interview réalisée à Bamako, Maison africaine de la photographie, 14. 02. 2011
Par Bärbel Küster, Marleine Chedraoui, Judith Rottenburg, Janine Schöne, Tanja Schüz
Quand je montre le côté positif de l’Afrique, je montre le côté positif de l’Europe aussi, mais montrer le côté positif de l’Europe en Afrique, ce serait de la folie ! C’est drainer encore les jeunes vers l’Europe. Or, l’Europe n’est plus l’Eldorado dont ils rêvaient, c’est fini.
Faire une photographie où l’on peut tout voir de la tête aux pieds, ce n’est pas très intéressant, car on n’a rien à chercher. Afin d’être parlante, une image doit cacher plus que montrer.
JE MONTRE L’AFRIQUE AU RESTE DU MONDE, MAIS JE NE TRAVAILLE JAMAIS DE L’AUTRE COTÉ POUR MONTRER DES IMAGES EN AFRIQUE.
SI JE VOULAIS RÉSUMER, JE POURRAIS DIRE QUE JE ME TROUVE ENTRE LE MARTEAU ET L’ENCLUME.
LES DÉTAILS
AB Je privilégie les plans de détails. Par exemple, avec la photographie intitulée « Mode », je m’intéresse aux détails des vêtements. Ce qui est frappant lorsque l’on regarde la finesse des doigts de la dame, ainsi que la texture de sa robe, c’est que l’on imagine ce que peut être son visage. Le détail, c’est la force de l’image pour moi, car une image, à mon sens, ce n’est pas quelque chose qui est donné d’un coup. Faire une photographie où l’on peut tout voir de la tête aux pieds, ce n’est pas très intéressant, car on n’a rien à chercher. Afin d’être parlante, une image doit cacher plus que montrer. Il faut créer les conditions pour que le spectateur soit comme un interlocuteur face à l’image. Il faut l’amener à se poser des questions, qu’il se demande : pourquoi ça ? C’est ma conception de l’image et c’est ce pour quoi je me bats.
ARTISTE, FORMÉ AU MUSÉE
Q Quelle a été votre formation de photographe ?
AB J’ai commencé à travailler au Musée National du Mali en 1981 comme agent de communication pour le public, afin de véhiculer la culture malienne dans les salles. Cela coïncidait avec un moment où le musée venait de faire peau neuve. On voulait lancer la section audio-visuelle, qui devait rentrer au service du musée. C’est ce qui m’a vraiment ouvert des portes. Vraiment, je dois beaucoup au musée. On m’a formé au Mali, en France, un peu partout avec les plus grands professionnels, sur le terrain. J’ai été un élève gâté : plutôt que de devoir aller vers mes professeurs, ce sont mes professeurs qui sont venus à moi. J’ai eu une formation complète : de la prise de vue au laboratoire jusqu’à la menuiserie pour monter les cadres. Quand je monte une exposition, je suis présent du début à la fin. Même si je considère que je serai toute ma vie un élève, je peux dire que j’ai beaucoup appris et que ces connaissances sont un acquis. Le musée a formé un technicien, mais la réalité du terrain a produit l’autre aspect de mon travail : petit à petit, le terrain a forgé l’artiste que j’ai pu être par la suite. Et puis j’ai été élevé à cheval entre deux cultures ; et lorsque j’ai découvert la réalité de mon pays, j’ai voulu participer au développement d’un centre pour valoriser cette nouvelle culture en face de moi, ma culture.
ENTRE DEUX CULTURES
Q Qu’entendez-vous, lorsque vous évoquez vos deux cultures ?
AB Lorsque je dis que j’ai deux cultures, je considère que c’est une chance. J’ai eu la chance d’aller à l’école – une école catholique – avec un père juriste. Dans ma famille, on communiquait fréquemment en français. C’est mon père qui m’a appris à prendre le bon côté de toutes les cultures qui se trouvent autour de soi. C’est pourquoi je dis être de deux cultures. J’essaie de prendre le bon côté des deux, et quand j’ai compris que l’image de l’Afrique véhiculée à travers le monde était limitée au côté négatif, alors je me suis chargé, quelque part, de saisir l’autre partie oubliée de l’Afrique. Et c’est ce que je fais depuis des années. D’ailleurs, je dirais que ça a été un peu une folie. Car cet engagement m’a poussé à défendre une culture au regard d’une autre, mais la culture que je défends ignore ma lutte. La culture à laquelle je veux montrer la réalité de ma culture me reconnaît et me valorise. Si je voulais résumer, je pourrais dire que je me trouve entre le marteau et l’enclume.
LE CORPS ENTRE SOUFFRANCE ET PLAISIR
Q Le corps est un thème ancestral. Cet aspect est-il déterminant dans le choix que vous faites de prendre le corps à la fois comme support et comme image ?
AB Oui, effectivement le corps est un thème ancestral. Que ce soit dans la musique, dans la peinture, et surtout dans la photographie, le corps est très présent. Au sein des cultes religieux également. Quand on regarde par exemple les scarifications ou les marques ethniques, le corps ne cesse de souffrir, il porte des marques fortes de souffrance. Bien qu’il donne du plaisir, le corps souffre.
Q Comment procédez-vous avec les textes que vous écrivez sur les corps ? Les préparez-vous à l’avance ? La situation photographiée est-elle une mise en scène ?
AB Oui, j’écris tous les textes à l’avance et je pars ensuite à la recherche d’un corps qui s’adapte à ce que j’ai écrit. Je prends un peu partout dans le Nouveau Testament, dans le Coran, dans des livres de littérature. J’aime aussi écrire. Et je demande parfois à quelqu’un d’écrire un texte. Je pourrais vous demander, par exemple, de me faire un petit poème.
LA PHOTOGRAPHIE COMME OUTIL D’EXPLORATION SOCIALE
AB Je fais beaucoup d’ateliers avec des enfants. Parce que je me suis rendu compte que je suis beaucoup plus à l’aise avec les enfants qu’avec les adultes. Pardonnez-moi de vous dire cela, vous êtes des adultes, mais c’est vrai. Les enfants m’intéressent tout particulièrement pour leur liberté et c’est pourquoi je travaille avec plusieurs organismes internationaux autour du thème des enfants. Dans ce contexte, je monte un projet, ou bien on vient me solliciter pour travailler sur un thème d’actualité comme le SIDA, le palu, la scolarisation – précisément celle des filles.
Q Comment procédez-vous ?
AB Je commence par organiser un petit atelier et, au sein du groupe, on communique sur le sujet. On cause, on s’informe, je fais tout cela avec les enfants. Après je leur demande d’illustrer ce qu’on a appris et c’est ce qui devient ensuite une exposition. Un atelier dure en moyenne trois semaines, c’est court, donc il serait très ambitieux de dire que j’apprends la photographie aux enfants. Non! Parce que l’on n’apprend pas un métier en trois jours. Je mets entre leurs mains un nouvel outil de communication. C’est ce que je me dis. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas très exigeant concernant la technique, ce n’est pas le plus important, je les laisse faire et moi j’apprends beaucoup de la liberté des enfants. Souvent, l’appareil n’est tenu ni verticalement ni horizontalement, mais se trouve placé dans tous les sens. Cette façon de regarder et de voir, totalement libre, reste un enseignement pour moi. J’ai beaucoup appris, beaucoup.
Q Vous avez également travaillé avec des personnes ayant des problèmes psychiques ?
AB Oui, c’est cette première expérience avec les enfants qui a suscité le projet d’atelier avec des malades mentaux. En travaillant avec les enfants, je me suis déjà confronté à une grande différence de mentalité, j’ai donc poussé la barre un peu plus haut : j’ai voulu aller vers ceux qui ne sont pas considérés comme « normaux ». À ma grande surprise, tout s’est très bien passé. Je leur ai donné des jetables et il faut dire que les prévisions que j’avais faites ont été multipliées par 10. Parce qu'ils ont cassé des appareils, ils ont jeté des appareils, ils en ont jeté plein, mais le résultat a été, je dirais, « satisfaisant ». Parce que j’ai pu les sortir, ne serait-ce qu’un seul moment, de leur solitude, de leur isolement, de leur retraite. Là, c’était ma victoire. Et le résultat aujourd’hui, c’est ce qui me reste de l’atelier, comme un retour, avec quelques images que j’ai pu fixer par-ci, par-là. Ces images me servent de support de communication et me laissent un grand souvenir de mon passage dans cet espace qu’ils occupent.
UNE IMAGE POSITIVE DE L’AFRIQUE
Q Avec votre travail de photographe, est-ce qu’il s’agit pour vous de transformer l’image que l’extérieur a de l’Afrique ou est-ce qu’il s’agit aussi de changer l’image que les Africains ont de leur propre continent ?
AB C’est une bonne question. Je vous avoue que, au début, je voulais montrer au reste du monde une autre image de l’Afrique. J’ai voulu réagir par rapport aux médias ; quand on lit la presse, quand on regarde la télévision, on n’entend qu’une chose : l’Afrique en guerre, l’Afrique affamée, l’Afrique malade et ainsi de suite. Tout cela, c’est une réalité de l’Afrique, mais si ça n’était que cela, l’Afrique aurait disparu de la planète depuis longtemps déjà. Il y a autre chose de positif. C’est d’abord cela que j’ai essayé de montrer. Ensuite, j’ai aussi compris qu’il fallait être beaucoup plus franc et montrer une autre image dans l’image. Qu’est-ce que je veux dire par-là ? Qu’il est très important de montrer à l’Afrique aussi ce qui est bien dans son environnement, dans sa culture. Quand on analyse un peu plus profondément cette ignorance du côté positif de la culture africaine, on constate qu’il ne s’agit que de l’influence de la presse occidentale.
Q La presse occidentale exerce-t-elle une influence destructrice sur les jeunes générations ?
AB Pour vous donner un exemple : un jour, j’ai demandé à un groupe d’élèves de réaliser un reportage sur un sujet libre. La seule chose que je leur demandais, c’était de remplir une pellicule d’images sur un sujet de leur choix. Parmi les élèves, il y en avait deux qui ne s’intéressaient pas du tout à la photographie, mais ceux qui s’intéressaient à la photographie sont allés, pour faire plaisir au maître que j’étais, faire exactement les mêmes images qui passent à la télévision : les mendiants dans la rue, les poubelles, les décharges. Ils ne m’ont rapporté que des images comme ça. Les deux autres, en revanche, qui ne s’intéressaient pas à la photographie, se sont rappelés la veille : « Ah ! C’est demain qu’on va rencontrer Monsieur. » C’est ainsi qu’il se sont dépêchés de faire une série d’images la veille du rendu. Leur objectif était de remplir l’appareil-photo le plus vite possible. Ils ont fait des photos dans la cour, sans bouger. On pouvait voir le petit mouton, le petit frère et d’autres choses. Des photos mal cadrées. À la surprise de tout le monde, j’ai apprécié ces deux garçons, vous voyez ! Hein? Alors les autres n’étaient pas contents, mais quand je leur ai expliqué, ils m’ont compris. On revient ici à cette idée des deux côtés, et d’ailleurs, c’est par rapport à cela que je travaille toujours, dans un sens.
Q Qu’entendez-vous par cette idée « des deux côtés » ?
AB Je montre l’Afrique au reste du monde, mais je ne travaille jamais de l’autre côté pour montrer des images en Afrique. Avec ma carrière, j’ai eu plein de résidences, je n’ai pas osé, parce qu’il faut avoir un objectif dans la vie. Quand je montre le côté positif de l’Afrique, je montre le côté positif de l’Europe aussi, mais montrer le côté positif de l’Europe en Afrique, ce serait de la folie ! C’est drainer encore les jeunes vers l’Europe. Or, l’Europe n’est plus l’Eldorado dont ils rêvaient, c’est fini.
Interview réalisée à Bamako, Musée National du Mali, 16. 02. 2011
Par Bärbel Küster, Marleine Chedraoui, Judith Rottenburg, Janine Schöne





Architecture sans architecte
Alioune Bâ, 2007
La photographie, c’était quelque chose d’étranger pour nous. En 1945-46, c’était très rare d’avoir sa photographie. On avait d’abord le miroir. Pour se voir, il fallait acheter un miroir, et ceux qui avaient des miroirs, ils étaient les plus heureux. Maintenant, c’est l’appareil qui est le miroir.
J’ai commencé à prendre les gens de dos et ça a plu. J’ai causé avec des photographes français qui m’ont dit : « Ah! Nous, on avait essayé, mais on ne nous a pas compris. »
LE CINÉMA, ÇA PASSE, MAIS LE PORTRAIT RESTE. ON RESTE TRÈS LONGTEMPS À LE CONTEMPLER.
LA PREMIÈRE CAMÉRA
MS J’ai acheté ma première caméra au Soudan, pour peut-être 6.000 francs maliens. A cette époque, ce n’était pas cher. J’ai tout de suite commencé à prendre des photos. J’ai été au village, j’ai photographié ma mère, j’ai photographié les animaux, les peaux d’animaux aussi. L’appareil est le plus beau paysagiste. Tout est plaisant, tout me plaît. J’ai été choisi pour être à l’école. Nous étions beaucoup de frères, mais mon père m’a choisi. C’était en 1944, mon père a dit : « C’est celui-là que je veux mettre à l’école. Je veux qu’il fasse des études. » Et on m’a pris.
RENONCER À PARIS
MS J’ai eu de la chance, j’étais bon dessinateur dès le cours préparatoire. Après le cours moyen, les maîtres se querellaient à cause de moi, ils voulaient que je sois dans leur classe, car je faisais presque tous les croquis : la carte de géographie, les sciences naturelles, les sciences physiques, je faisais tout quoi. Je dessinais au tableau et les élèves copiaient ça. C’est ce qui m’a permis de faire des progrès, je dessinais tout le temps. Une année, le commandant-colonel qui s’appelait Maurice Miquel a su que j’étais dessinateur. Je ne sais plus comment, il a dû voir pendant les fêtes annuelles que je faisais des petits dessins sur les mouchoirs que les filles brûlaient pour les présenter aux officiels. Le colonel Miquel s’est arrangé pour que je reçoive une bourse pour faire des études à l’École des beaux-arts de Paris. C’était en 1951. C’est étrange le destin d’un homme, car un bon photographe, c’est un homme qui a un bon œil. Et j’avais déjà à l’époque un problème avec un œil, et lorsqu’il a fallu passer la visite médicale avant l’obtention de la bourse pour aller à Paris, j’ai été déclaré inapte par le docteur. Donc je ne suis pas parti. J’ai tenté une deuxième fois et j’ai été jugé de nouveau inapte. Donc je n’ai pas pu passer le concours des Beaux-arts de Paris. J’ai pleuré, beaucoup, pendant des semaines. J’ai fini par renoncer et j’ai cherché du travail à la Transafricaine, une compagnie de transports. Finalement, j’ai pu grâce au colonel m’inscrire à la Maison des artistes soudanais, où j’ai reçu une formation en bijouterie, parce qu’un Peul ne peut pas être menuisier, ni forgeron, ni ébéniste. Mais j’ai continué à beaucoup dessiner et puis ensuite j’ai commencé la photographie et j’ai arrêté de dessiner.
LE STUDIO COMME LIEU SOCIAL
MS Entre la pellicule et le pinceau, j’ai finalement choisi la pellicule. La peinture, c’est un travail lent et solitaire ; la photographie, c’est très social. Les gens viennent, vous causez avec les gens avant de faire leur portrait. Je suis un portraitiste et c’est un travail très exigent, il ne faut pas blaguer avec le portrait. Les gens viennent au studio, vous les préparez, vous les mettez en condition. Il faut une certaine psychologie, être très social, mettre à l’aise ses clients, les familiariser. C’était ça, mon système : je causais d’abord avec le client et je le mettais à l’aise.
Q Vous choisissez vos fonds ? Selon quels critères utilisez-vous tel textile plutôt qu’un autre ?
MS Oui, j’ai toujours choisi les fonds. Je faisais mon choix en fonction des habits. Quel fond convient à tel habit, à telle forme. J’ai choisi par exemple tout dernièrement le rayé, parce qu’il convient à tout, que ce soit noir ou blanc ou bleu.
Q Vos clients pouvaient-ils venir avec des vœux spéciaux ?
MS Il s’agit toujours d’un moment spécial. Les gens viennent bien coiffés. Il y en a même qui viennent avec du parfum. Ils se parfument au miroir. Alors je leur dit : « Non, mais quand même ! Dans la photo, le parfum, tu ne le sens pas ! »
LA ROBE NE VA PAS TOMBER
MS Il faut que je vous raconte une anecdote. Il y avait une fille que j’aimais bien, je lui faisais la cour. Un jour, j’ai voulu la prendre en photo, mais elle a refusé, elle avait peur de la chambre noire, parce que « les chambres mettent la tête en bas ». Elle avait honte et pensait que sa robe allait tomber. Donc quand elle m’a vu avec mon appareil-photo, elle s’est mise à crier tout à coup : « Les gens de Ségou, venez à mon secours ! » Moi, j’étais étonné : « Comment ? Les gens de Ségou, venez à mon secours ! Mais je ne veux pas te brigander, je veux juste faire ta photo ». Elle m’explique alors qu’elle croit qu’elle sera nue quand je la verrai dans l’appareil, comme sa robe va tomber. Donc, pour la motiver, je l’ai placée devant l’appareil et je lui ai dit de regarder dans le viseur et moi je me suis mis à sa place. J’ai dit : « Regarde-moi. Est-ce que tu vois ma tête en bas ? Et mon pantalon? Et ma culotte, elle est toujours en place ? » Donc là, elle a dit : « Ouais, c’est bon. » Alors c’est comme ça, que j’ai pu la photographier.
PHOTOGRAPHIER DE DOS
Q Comme vous l’avez expliqué, l’idée de prendre les gens de dos vient de l’importance érotique du dos des femmes et du regard de l’homme sur les femmes. Mais vous avez également fait des portraits de dos avec des hommes.
MS Oui, en fait j’ai d’abord commencé par les hommes de dos avec les chapeaux, mais ça n’a pas marché. J’ai pris mon fils d’abord, j’ai commencé par lui et puis par moi-même, dans ma blouse de travail.
Q Est-ce que l’on peut reconnaître un thème artistique venant de l’Europe ?
MS Non, ça c’est une pensée du Mali, parce que lorsque j’ai commencé, je faisais ça d’abord chez moi. Regardez cette photo de ville de ma fille. Elle est assise à côté de mon chien, de dos. D’après moi, pour faire le portrait d’une personne, il y a trois possibilités : de face, de dos et de profil. Le profil, c’est intéressant aussi. Il y a des gens qui sont très bien de profil. D’autres mieux de face. J’ai commencé au début par une sorte de « profil de dos » où je mélangeais les deux carrément. Mais ces premières images étaient prévues pour une exposition et j’ai préféré rester prudent et ne pas montrer les gens, leur visage. Donc j’ai choisi le dos carrément. Et puis finalement, j’ai continué comme ça.
LA TAILLE DES TIRAGES
Q Comment avez-vous choisi la taille et le format des tirages ?
MS J’ai toujours fait mes propres tirages. C’est moi qui tirais tout au début. Après, à partir de 1994, ou 1991, je ne sais plus, la plupart des galeries et des musées ont choisi leur format. Sinon, moi je ne faisais jamais de format de carré. Je cadrais un peu, puis j’éliminais tous les parasites sur les côtés, mais je faisais toujours des rectangles.
Q Vous préférez le format rectangulaire ?
MS Voilà, j’aimais le rectangle. Bon, c’est une question de choix. Pourvu que je gagne de l’argent. Avec le rectangle, c’était pratique, car je pouvais éliminer tout ce qui gênait dans l’image, tout ce qui n’allait pas plaire au client. Je coupais pour que l’on ne voie pas sur le côté des vieux appareils-photos par exemple, ou des bougeoirs ou d’autres objets. Avec les musées et les galeries, s’ils préfèrent garder l’image sans la couper, avec tous les parasites, si cela leur plaît davantage, ils font ce qu’ils veulent. Quand je fais un portrait, les gens viennent bien habillés, avec de belles chaussures, donc je coupe pour que l’ensemble soit beau et propre.
PHOTOGRAPHIER LES DANSEURS
Dans les années 1962-1963, il y avait des « bals poussière », là où se trouve aujourd’hui la mosquée. À l’époque, c’était un terrain vide et on organisait des soirées là-bas, dans la poussière. Parce qu’il faut dire que ce n’est pas la politique qui a libéré les jeunes ici, mais la musique européenne. Les filles se sont déchaînées, les garçons aussi. Au début, on a essayé d’empêcher les filles d’aller aux soirées dansantes ; ou bien, il fallait qu’elles aient un gentleman qui leur garantisse une certaine sécurité. Je me souviens que lorsque le chef de famille refusait qu’une de ses filles aille au bal, il devait faire attention au verre d’eau qu’il buvait, car souvent sa fille avait mis un somnifère dedans et elle s’arrangeait toujours pour rentrer vers quatre ou cinq heures du matin et le vieux ne s’apercevait de rien.
Q Quelle était votre musique préférée ?
MS Tino Rossi. C’était lent, c’était bien. Mais lorsque la musique d’Amérique latine est arrivée, c’était la pagaille : « ouah, ouah, ouah... » Tout le monde sautait ! Mais surtout Ray Charles. Alors avec lui, tout le monde secouait les bras. Qu’est-ce qu’on a pu faire tourner les filles, c’était bon.
Q C’était le rock n’roll.
MS Le rock n’roll est arrivé en 1957. J’ai beaucoup photographié les grands bals, mais le rock ça n’a pas tellement duré. C’était une sorte de gymnastique et les hommes se sentaient loin des femmes, parce que c’est une danse solitaire. On le danse seul, le rock n’roll. Les musiques, sur lesquelles les filles et les garçons dansaient ensemble, avaient plus de succès. Le blues par exemple. On éteignait la lumière, ce qui permettait à quelques coquins de s’embrasser. Ce qui choquait les filles bien sûr, car elles n’avaient pas du tout l’habitude d’embrasser et les garçons souvent devaient les forcer. Moi je restais assis à observer, j’étais de la génération des zazous, c’était autre chose, on était plus timides. Moi, je n’aimais pas tellement danser, j’étais trop timide. Je préférerais contempler les danseurs, les photographier.
Interview réalisée à Bamako, Bagadaji, Studio de Malik Sidibé, 16. 02. 2011
Par Bärbel Küster, Marleine Chedraoui, Judith Rottenburg, Janine Schöne, Tanja Schüz

Série « La fin d'un divorce »
Amadou Sow, 2015

Ségou
Série « La fin d'un divorce »
Amadou Sow, 2015

Koul
Série « La fin d'un divorce »
Amadou Sow, 2015

Série « La fin d'un divorce »
Amadou Sow, 2015

Série « La fin d'un divorce »
Amadou Sow, 2015

Série « La fin d'un divorce »
Amadou Sow, 2015

Série « La fin d'un divorce »
Amadou Sow, 2015

Série « La fin d'un divorce »
Amadou Sow, 2015

Série « La fin d'un divorce »
Amadou Sow, 2015

Série « La fin d'un divorce »
Amadou Sow, 2015

Série « La fin d'un divorce »
Amadou Sow, 2015

Combat
Série « La fin d'un divorce »
Amadou Sow, 2015

Gardes, à Vous!
Mamadou Gomis, 2013

Gardes, à Vous!
Mamadou Gomis, 2013

Gardes, à Vous!
Mamadou Gomis, 2013

Gardes, à Vous!
Mamadou Gomis, 2013

Gardes, à Vous!
Mamadou Gomis, 2013

Le piéton de Dakar
Mamadou Gomis, 2013

Le piéton de Dakar
Mamadou Gomis, 2013

Le piéton de Dakar
Mamadou Gomis, 2013

Le piéton de Dakar
Mamadou Gomis, 2013

Virtual Nature
Angélina Nwachukwu, 2014

Évasion
Angélina Nwachukwu, 2016

Vestibule des étoiles
Alioune Bâ, 2008

L'argent peut acheter un lit mais pas le sommeil
Alioune Bâ, 2008

Corps habitable
Alioune Bâ, 2008










Il faut instaurer une bonne entente si l’on veut faire de bonnes images, savoir communiquer. J’explique toujours ma démarche aux gens que je photographie.
La photographie est un moyen de communication, un moyen de diffuser des messages, et surtout, un témoin concret du temps.
Les Rencontres africaines de la photographie de Bamako sont venues nous dire qu’il y a autre chose que la photographie de portrait.
On voit rarement à Bamako des enfants autour d’une vieille personne qui raconte un conte par exemple. Il est important que les enfants sachent ce que nos parents ont vécu.
J’UTILISE LES SIGNES POUR PARLER DE NOS RACINES, DE NOTRE IDENTITE.

Quartier Baghdad à Guediawaye, Sénégal, 19 septembre 2009
Série « Vivre les pieds dans l'eau »
Élise Fitte-Duval

Quartier Djiddah Thiaroye, Pikine, Sénégal, 7 septembre 2009
Série « Vivre les pieds dans l'eau »
Élise Fitte-Duval

Quartier inondable Djiddah Thiaroye, Pikine, Sénégal, 7 septembre 2009
Série « Vivre les pieds dans l'eau »
Élise Fitte-Duval

Quartier de Grand Yoff, Dakar, 9 septembre 2009
Série « Vivre les pieds dans l'eau »
Élise Fitte-Duval

Maah Khoudia
Angélina Nwachukwu, 2016

Night Bird
Angélina Nwachukwu, 2014

Virtual Nature
Angélina Nwachukwu, 2014

Belle d'ange
Angélina Nwachukwu, 2016

Belle d'ange
Angélina Nwachukwu, 2016

Belle ailleurs
Angélina Nwachukwu, 2016

Amore
Angélina Nwachukwu, 2014

Mali au feminin
Fatoumata Diabaté, 2009

Mali au feminin
Fatoumata Diabaté, 2009

Mali au feminin
Fatoumata Diabaté, 2009

Mali au feminin
Fatoumata Diabaté, 2009

Mali au feminin
Fatoumata Diabaté, 2009

Tou Bissimilaye
Série « Taama Sira » (Le chemin de l'exode)
Amadou Sow, 2010

Taama Saraka
Série « Taama Sira » (Le chemin de l'exode)
Amadou Sow, 2010

Woro den Nani
Série « Taama Sira » (Le chemin de l'exode)
Amadou Sow, 2010

Fura Daga
Série « Taama Sira » (Le chemin de l'exode)
Amadou Sow, 2010

Dansogo Karamoko
Série « Taama Sira » (Le chemin de l'exode)
Amadou Sow, 2010

Taama
Série « Taama Sira » (Le chemin de l'exode)
Amadou Sow, 2010

Dilèli
Série « Taama Sira » (Le chemin de l'exode)
Amadou Sow, 2010

Série « Forgeron »
Emmanuel Bakary Daou, 2012-2014

Série « Forgeron »
Emmanuel Bakary Daou, 2012-2014

Série « Forgeron »
Emmanuel Bakary Daou, 2012-2014

Série « Forgeron »
Emmanuel Bakary Daou, 2012-2014

Série « Forgeron »
Emmanuel Bakary Daou, 2012-2014

Série « Forgeron »
Emmanuel Bakary Daou, 2012-2014

Série « Forgeron »
Emmanuel Bakary Daou, 2012-2014

L'espoir
Série « Signes des Anciens »
Emmanuel Bakary Daou, 2006

Fer d'amour
Série « Signes des Anciens »
Emmanuel Bakary Daou, 2006
SYMBOLES, RACINES, IDENTITE
Q Pourquoi avoir recours aux signes et aux symboles dans votre photographie ?
EBD Il est important que les plus jeunes sachent d’où ils viennent, qu’ils sachent qui étaient nos grands-parents afin de garder un lien avec leur mémoire. J’utilise les signes pour parler de nos racines, de notre identité. On voit rarement à Bamako des enfants autour d’une vieille personne qui raconte un conte par exemple. Il est important que les enfants sachent ce que nos parents ont vécu. Les images diffusées à la télévision, par exemple, sont des images qui viennent d’ailleurs. Elles ne parlent pas de nous et nous perdons du coup nos repères. Avec mon travail sur les Anciens, je souhaite revenir un peu en arrière avec les signes et les symboles qui parlent de nos valeurs pour que les jeunes d’aujourd’hui – que j’appelle « la nouvelle génération » – puissent aussi se rendre compte que nous avions des valeurs et que nous avons encore des valeurs. Comme dit l’adage : « Si tu sais d’où tu viens, tu peux savoir où tu vas aller ».
UN TEMOIN CONCRET DU TEMPS
EBD Au Mali, la photographie de portrait est une tradition forte dont les célèbres représentants sont Malick Sidibé et feu Seydou Keïta. Les gens aiment se faire photographier pour montrer leur accoutrement, pour afficher leur statut social. On va généralement se faire tirer le portrait les jours de fêtes, lorsque l’on a acheté un beau boubou, que l’on est bien coiffé. Les Rencontres africaines de la photographie de Bamako sont venues nous dire qu’il y a autre chose que la photographie de portrait. La photographie est un moyen de communication, un moyen de diffuser des messages, et surtout, un témoin concret du temps. Je le dis souvent, quand je fais une exposition : « Mieux vaut voir une fois, que d’entendre mille fois ». J’essaie souvent d’expliquer cela aux gens qui refusent de se faire photographier. Il y a toujours des vieux qui disent : « Non, non, non, moi je ne veux pas être photographié », mais je leur réponds : « Si tu meurs, ton petit-fils, comment va-t-il savoir que tu as existé ? En voyant ta photo, il pourra dire tout de suite : « Ah! Je ressemble à mon grand-père ». » C’est la valeur de témoignage de la photographie, elle constitue une mémoire. C’est ainsi que j’explique le sens de la photographie à ceux qui me disent : « Non, si tu me photographies, après ma mort, on va me regarder... » Je dis : « Non ! Ce qui compte, c’est que l’on sache à quoi tu as ressemblé et que tes petits-enfants puissent admirer les différences et les ressemblances, c’est ce qui leur donne des repères ».
COMMUNIQUER POUR PHOTOGRAPHIER
Q Quel rôle joue l’interview dans votre pratique de photographe ?
EBD Il faut instaurer une bonne entente si l’on veut faire de bonnes images, savoir communiquer. J’explique toujours ma démarche aux gens que je photographie. La photographie a le pouvoir de fixer le temps, mais elle est capable aussi de diffuser des messages. La dimension de message dans la photographie est la raison pour laquelle je commence toujours par expliquer mon travail aux personnes que je veux photographier. Au départ, je communiquais peu et j’ai senti que mes images passaient à côté de quelque chose. Sûrement parce qu’en ne communiquant pas, le photographe est obligé de s’éloigner, ce qui crée un petit manque à gagner. Par la communication, on instaure une relation, on peut donner une direction et offrir au sujet la possibilité de s’exprimer. C’est ce que je dis toujours aux photographes : « Il ne faut pas se négliger soi-même. C’est ta personnalité qui fait de toi le bon ou le mauvais photographe ». Par la communication, le photographe suscite des émotions, des moments importants, extraordinaires. Avec de la chance, on peut capter ces instants-là. Comme dirait l’autre, la bonne photographie, c’est une prédiction de Dieu.
LA PEINTURE ET LA CARICATURE
Q Avant de vous consacrer entièrement à la photographie, vous avez travaillé comme peintre, n’est-ce pas ?
EBD Oui, je suis peintre de formation. J’ai étudié à l’Ecole des beaux-arts de Bamako. J’ai commencé la photographie dans le cadre de ma pratique du portrait en tant que peintre : je photographiais mes clients avant de les dessiner et de les peindre. Petit à petit, je suis passé complètement à la photographie pour réaliser des portraits. Mon premier appareil professionnel était un « Zenit », une marque russe. J’avais aussi pour ma pratique d’amateur un petit Sony. Je n’ai pas complètement arrêté la peinture. Je fais de la calligraphie, je réalise des banderoles et des panneaux publicitaires, des enseignes illuminées. Aujourd’hui, c’est surtout à travers ma pratique de la caricature que je garde un lien avec la peinture. Je travaille comme caricaturiste pour des journaux. Le moment où je suis sorti de l’Ecole des beaux-arts a coïncidé avec la démocratisation du Mali. Des journaux ont été créés, les rédactions avaient besoin d’images pour illustrer leurs textes. J’ai commencé à travailler pour eux comme photographe et comme caricaturiste.
UNE ASSOCIATION POUR LA PHOTOGRAPHIE A BAMAKO
Q Pourriez-vous nous parler un peu de l’association de photographie que vous avez créée en 1994 à Bamako ? Quelle est sa fonction ? Qu’en est-il aujourd’hui ?
EBD J’ai créé une association qui a pour but essentiel d’amener la population malienne à savoir que la photographie, c’est autre chose que seulement les photos d’identité, les photos de fêtes et les photos de mariage. La photographie, c’est aussi un endroit où l’on peut exprimer ses émotions, ses désirs, et d’autres choses. L’association a été créée dès la première Rencontre de la photographie à Bamako en 1994. Elle s’appelle DJAW-MALI (« Djaw » signifie « les images ») et compte une vingtaine de membres. Au départ, nous étions seulement trois, mais par nos actions, par le fait que nous parlons de photographie, et grâce aux Rencontres aussi qui ont lieu tous les deux ans, les gens se sont intéressés petit à petit à l’association. Il s’agit d’un lieu où l’on échange, où l’on transmet la photographie comprise comme recherche artistique et comme activité créative, c’est-à-dire non-commerciale. C’est une sensibilisation à la photographie contemporaine. Voilà un peu comment l’association a pu prendre racine jusqu’à ce que l’on crée tout dernièrement, il y a trois ans, le « Digital Club » qui se consacre à l’apprentissage de la photographie numérique, car les appareils numériques sont maintenant arrivés au Mali. Toute personne ayant un appareil-photo numérique peut venir au Club, montrer ses images et discuter dans l’intention d’améliorer son travail. DJAW-MALI est devenu « Digital Club » dont l’ambition est de préparer l’avenir. Nous voudrions en faire une sorte d’agence de photographie, avec une activité de formation afin d’avoir une base solide. Tout le monde peut être membre de l’association, mais actuellement, j’ai formé un petit groupe de jeunes photographes que je suis en train de former, en leur montrant un peu comment on travaille sur Photoshop par exemple, comment on traite les images avec un ordinateur.
Q Pourriez-vous nous donner un exemple de sujet que vous travaillez dans ce Club ?
EBD Le choix des sujets est très ouvert, tout est possible. Dernièrement, nous avons travaillé sur « les mille visages de Bamako ». J’étais curieux de voir comment les photographes réagiraient au terme « visage », normalement destiné à une personne et appliqué ici à la ville de Bamako. Avec « les visages de Bamako », on peut toucher à tout : ça peut être le paysage, l’architecture, les personnes, la nuit à Bamako. Ensuite, nous avons travaillé sur les petits métiers, puis sur l’hivernage à Bamako. Aujourd’hui, il fait sec, on a l’impression qu’il y a trop de poussière, mais quand il pleut, il y a de grosses inondations. C’est un grave problème à Bamako. Le sujet m’intéressait à cause de cela, mais aussi, je voulais pousser les photographes en herbe à faire des images par temps de pluie. Selon les conditions, il faut protéger son appareil, trouver des solutions à des problèmes techniques, c’était aussi un exercice. Il faut apprendre et s’exercer à photographier dans toutes les circonstances.
PHOTOGRAPHE CHRETIEN
EBD Comme photographe, je procède en trois temps : la prise, la sélection, l’exposition. Je m’appelle Emmanuel – homonyme de Jésus pour les gens qui sont chrétiens – et je fais justement un peu comme Jésus avec la multiplication des pains lorsqu’il nourrit cinq mille hommes. Jésus a pris, il a béni puis il a distribué. Dans la photographie, on retrouve la même chose. Prendre la photographie, c’est prendre l’objet. Bénir, c’est un peu, on va dire, le développement et la sélection, qu’il s’agisse d’argentique ou de numérique. Puis la distribution, c’est l’exposition. Une image photographique peut atteindre au moins mille, deux mille personnes. Il suffit qu’une photographie existe et les gens passent pour la regarder. Chacun y trouve son compte. Dans la parabole chrétienne, Jésus a nourri par miracle cinq mille hommes avec cinq pains et deux poissons. Une exposition se compose de quelques images qui par la réception se voient multipliées. A chaque fois que je fais une exposition, je pense ainsi à Jésus.
PHOTOGRAPHIE DE PRESSE
EBD En tant que photographe, je collabore avec des journaux internationaux comme Jeune Afrique, Afrique Magazine, Planète Jeunes, et de temps en temps aussi, avec d’autres journaux français comme le Figaro, une fois le Monde et Télérama. Mais ici à Bamako, je collabore avec presque tous les journaux, parce que je suis collègue avec presque tous les journalistes. Ce sont majoritairement des commandes, de la photographie de presse, prise sur le vif. C’est un rythme rapide. Quelqu’un a besoin du portrait de quelqu’un ou d’un reportage sur tel événement. J’essaie quand même toujours d’intégrer ma pratique artistique à ma pratique journalistique : trouver le meilleur profil, la bonne lumière, il faut aussi que l’image puisse plaire au lecteur.
LE TITRE, C’EST L’HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE
Q Comment concevez-vous la relation entre texte et photographie, notamment à travers votre choix des titres ?
EBD Cela dépend souvent de la présentation même de la photographie, de la manière dont je vois mon image. C’est ainsi que je trouve le texte, les mots, ou bien le titre qu’il faut. Par exemple, j’ai fait un petit reportage sur l’excision, une pratique que je condamne et que j’ai pu observer de près car j’ai une tante qui le fait souvent. Je n’ai pas voulu faire des photos choquantes, car le sexe, c’est tabou dans notre société. J’ai voulu faire des images sobres à même d’expliquer ce qu’est l’excision et comment cela se passe. Concernant une photographie particulière, ce qui m’a intrigué, c’est la larme de la petite fille. Une larme a coulé, mais elle n’a pas crié et sa mère était fière que sa fille, qu’on venait d’exciser, ne crie pas. J’ai intitulé cette photographie-là – je vais vous la montrer – « Larmes de joie », alors que cette petite fille avait mal. Au moment de la prise, mais aussi de la sélection ensuite, beaucoup de choses se passent à travers la perception et l’interprétation. Le titre, c’est l’histoire de la photographie.
LA TRANSMISSION DU SAVOIR
EBD Je développe actuellement un projet autour de la figure du forgeron qui s’intéresse tout particulièrement à la question de la durabilité : à la fois celle de l’enseignement des forgerons de père en fils et celle du matériau du fer. En Afrique, et surtout ici au Mali, le forgeron est très respecté, parce que la légende dit qu’il est le premier homme. Il a le secret du feu et du fer. Afin de rendre visible cette durabilité, je suis allé à la rencontre des forgerons pour passer du temps avec eux. Je compte faire aussi peut-être quelques mises en scène avec eux et tenter de leur expliquer mon idée par rapport à la transmission du savoir forgeron de père en fils.
Interview réalisée à Bamako, Hamdallaye, Association Djaw Mali 15. 02. 2011
Par Bärbel Küster, Marleine Chedraoui, Judith Rottenburg, Janine Schöne, Tanja Schüz
LE GARDIEN DU COUTEAU
Q Quelle est l’histoire du gardien du couteau ?
EBD Au Mali, dans un village Malinké comme Mienka – mais aussi Fatmata, Dafi, ou chez moi GamBambara – il y a toujours un gardien du couteau qui sert au sacrifice. Celui qui détient le droit du couteau est l’homme le plus avisé, le plus au fait de la société secrète du village. Au Mali, les villages sont organisés en sociétés secrètes de telle sorte qu’il y a des cercles d’âge. On atteint le dernier cercle du moment que l’on devient un homme complet, c’est-à-dire marié. En général, c’est autour de 25 ans pour les hommes, et pour les femmes, la question ne se pose pas, car elles ne font pas partie de cette société-là. La tradition veut qu’il y ait un gardien des couteaux qui puisse intervenir et faire le maître de cérémonie, le prêtre ou le sacrificateur, à chaque fois que l’on a besoin de faire un sacrifice, de faire appel aux puissances maléfiques, en tout cas aux puissances protectrices de la cité.
Q Est-ce le couteau qui fait du forgeron l’homme le plus redouté du village ?
EBD Oui! Un couteau sert à faire mal, à couper, à percer. Mais c’est aussi un outil pour se protéger contre les agressions. Ce sont tous ces rôles qu’incarne le couteau : protection, service, sacrifice. Le couteau n’est pas seulement l’outil du sacrifice, il symbolise les techniques ancestrales auxquelles le gardien du couteau fera appel. Lorsqu’il y a une bête à égorger, ou un poulet à tuer, le gardien utilise différents couteaux et prononce les incantations. L’usage du couteau est toujours accompagné de paroles qui pour la plupart demandent pardon, réclament l’indulgence des ancêtres et des esprits afin que le sacrifice soit accepté.
Q Et quel est ce couteau ? Est-il ancien ou bien nouvellement forgé ?
EBD Il s’agit en principe du plus vieux couteau du village. Toujours fabriqué par un forgeron, à la main, parce que l’on ne peut pas utiliser de couteaux industriels pour un sacrifice. Même si certains utilisent des couteaux plus récents, la base du rituel doit être un couteau qui est là dans le village depuis des années, qui a peut-être même servi à réaliser le tout premier sacrifice du village, et ce couteau-là, on le transmet de père en fils, ou de gourou en gourou. Comme je l’ai dit, le rituel dépend toujours de celui qui maitrise le mieux les règles du déroulement du sacrifice.
LE FORGERON
EBD J’ai réalisé un travail sur le forgeron, que je vais continuer, parce que c’est un sujet vraiment vaste. En tout cas dans mon village, chez les Dafings, les Bambaras, les Malinkés, le forgeron est considéré comme l’homme sur terre le plus redouté, parce qu’il a la maîtrise du feu, la maîtrise du fer et sait fabriquer des instruments de guerre. Mais il sait fabriquer aussi des instruments de culture, des instruments de protection, de cuisine, et cetera, et il devient du coup l’homme le plus important. Il est le seul qui ait le droit de toucher au plus vieux couteau du village sans avoir la permission de qui que ce soit. Les gardiens des couteaux sont en général les forgerons, ou toujours du moins les personnalités les plus initiées du village.
Q Comment êtes-vous partis à la rencontre des forgerons dans les villages pour réaliser votre série ?
EBD J’ai dû commencer par trouver des intermédiaires qui puisse m’introduire. Mais comme je suis du village, cela n’a pas été bien difficile : « Bon, tu es d’ici, donc on peut être sûrs que tu ne manqueras pas de respect à nos traditions, voilà, fais comme chez toi ». C’est ainsi que j’ai pu approcher les forgerons. J’ai pratiqué la forge, ce qui m’a valu d’être appelé forgeron à mon tour. J’ai des cousins forgerons qui m’ont permis d’entrer dans le secret, on va dire comme ça, parce que c’est un secret qu’on ne dit pas à tout le monde, seulement certains sont les gardiens de la tradition.
Q Et comment ce couteau devient-il un objet sacré ?
EBD Le couteau est sanctifié par des pratiques. C’est en l’utilisant, en lui mettant des pommades sacrées et différentes coctions qu’il devient sacré. A chaque fois que j’approche les forgerons, ils sont tellement gentils qu’ils m’offrent un couteau, parce que je leur dis que je préfère leurs couteaux faits à la main que les couteaux industriels que je trouve en ville. Le fer dans lequel sont fabriqués leurs couteaux est excellent. Les forgerons disent tous qu’il faut que le fer soit brut, qu’ils proviennent comme directement de la terre afin d’entrer plus facilement en communication avec les ancêtres qui vivent sous terre selon les Anciens.
Q La terre du village ?
EBD Oui ! C’est un fer trouvé un trou dans la terre pas loin du village.
Q Comme on peut le voir dans votre série, les forgerons forment une famille.
EBD Oui, la grande famille des forgerons. Celle qui, de père en fils, se passe les mots, les secrets, le savoir. La femme du forgeron est potière. Elle maîtrise la terre, l’argile qu’elle transforme en marmite, en assiette et d’autres ustensiles de cuisine. Elle est respectée car tout le monde doit venir chez elle pour trouver de quoi faire le plat. Son mari le forgeron maîtrise généralement le maniement des armes, puisqu’il les fabrique. Un forgeron est souvent aussi un grand chasseur, un cultivateur. Un forgeron est aussi un artiste, c’est lui qui fabrique les masques. Une aptitude qui vient renforcer encore son habilitation à jouer le rôle du gardien de la tradition. A force de battre le fer, il devient très fort. Dans tous les domaines. Les forgerons sont généralement la vitrine de la puissance, de la virilité du village.
Interview réalisée à Stuttgart-Leinfelden, 04. 02. 2014
Par Bärbel Küster

Rétroviseur
Harandane Dicko, 2014

Rétroviseur
Harandane Dicko, 2014

Poitrine, Série « Désaffection »
Harandane Dicko, 2008

Le journal, Série « Désaffection »
Harandane Dicko, 2008

Toujours moi, Série « Désaffection »
Harandane Dicko, 2008
La photographie n'a pas de couleur
Interview avec Amadou Sow à Bamako, 2011
Le studio de la rue
Interview avec Fatoumata Diabaté à Dakar, 2014
La guerre au Liberia
Interview avec Djibril Sy à Dakar 2014
L’art, le hasard et les normes
Interview avec Ousmane Dago à Dakar, 2011
Construire le regard
Interview avec Mamadou Gomis à Dakar, 2014
« L’appareil photographique, c’est très social »
Interview avec Malick Sidibé à Bamako, 2011
L'abondance à Saint-Louis et les studios de photographie
Interview avec Adama Sylla à Saint-Louis, 2014
Des mondes possibles
Interview avec Fatou Kandé Senghor à Dakar, 2011
De la nature au monde virtuel
Interview avec Angélina Nwachukwu à Dakar, 2014
Photographier les détails
Interview avec Alioune Bâ à Bamako, 2011
Déconstruire la réalité
Interview avec Harandane Dicko à Stuttgart, 2014
Dans l'intimité des maisons
Interview avec Mohamed Camara à Bamako, 2011
La photographie comme fait social
Interview avec Elise Fitte-Duval à Dakar, 2014
La dynamique des femmes
Interview avec Malika Diagana à Dakar, 2014
La jeunesse et le passé
Interview avec Emmanuel Bakary Daou à Bamako, 2011
La rue est un lieu où se passent énormément de choses. C’est pour cette raison que j’essaie de capter les contrastes des villes africaines en pleine expansion à travers leurs réalités quotidiennes. Les villes africaines ont beaucoup évolué ces dernières années et de plus en plus de gens vivent en ville.
Dans les collections des grands musées, que voit-on de la photographie africaine ? La photographie de studio. C’est comme si toute la photographie en Afrique, ou au Mali tout particulièrement, se résumait à la photographie de portrait. Or, nous avons un devoir de mémoire. Celui de rappeler la diversité de la photographie africaine.
J’essaie de montrer les espaces dans leur ensemble, toujours en relation avec moi, sans que je sois placé pour autant au centre de l’image.
LES RETROVISEURS DE MOTO RENVOIENT UNE IMAGE INVERSEE DE LA REALITE.
On cherche à maîtriser le caractère flou de la vie, on a tendance à prendre le faux pour le vrai. Je m’intéresse à travers mes portraits et mes scènes de vie à cette ambiguïté.

Bras croisés, Série « Désaffection »
Harandane Dicko, 2008

Baril, Série « Désaffection »
Harandane Dicko, 2008

Balais, Série « Désaffection »
Harandane Dicko, 2008

Rétroviseur
Harandane Dicko, 2014

Rétroviseur
Harandane Dicko, 2014

Rétroviseur
Harandane Dicko, 2014

Rétroviseur
Harandane Dicko, 2014
UNE RECHERCHE SUR LA VILLE
Q Quelles ont été vos sources d’inspiration pour votre série Rétroviseur ? S’agit-il pour vous d’une recherche sur les villes ?
HD Oui, cela ressemble à une recherche sur les villes, pas sur les villes particulières, car sur la plupart des photographies de la série Rétroviseur, on ne fait pas la distinction entre les villes. Ce qui retient mon attention, c’est plutôt ce qui relie les villes africaines entre elles. C’est un travail en cours, que je continue de développer au fil des années. Avec le rétroviseur, il s’agit pour moi d’alerter mes confrères africains et de dire : « Attention, tout ce que vous voyez, tout ce que vous pensez être la réalité, n’est pas la réalité. » C’est vrai aussi que les Européens ont des idées-reçues sur l’Afrique, surtout ceux qui n’ont pas été en Afrique. Mais honnêtement, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Pour l’instant, c’est vraiment l’Afrique qui m’intéresse. Travailler en Afrique, choisir des sujets sur des villes africaines.
CAPTER LE MOUVEMENT DES VILLES
Q Pour votre série Rétroviseur, comment se sont déroulées les prises ?
HD J’ai commencé cette série l’année dernière à Kampala en Ouganda. L’idée était pour moi de faire des portraits de villes africaines dans tous leurs mouvements. J’ai donc loué des motos-taxis pour réaliser mes images. Ce qui m’intéressait, c’était de faire des photographies avec les rétroviseurs des motos. Une manière de capter le mouvement de mes sujets sans qu’ils s’en rendent compte. Ce qui me donne la possibilité de photographier mes sujets de façon naturelle. J’ai continué la même série à Nairobi, Lubumbashi au Congo, à Lagos et à Bamako. La moto c’est un moyen de transport qui est utilisé dans plusieurs grandes villes africaines. Un moyen qui permet à plusieurs personnes de se déplacer à moindre coup, malgré le manque de sécurité.
SORTIR DU STUDIO
Q Vous avez dit que vous ne faites pas de photographie de portrait. Qu’entendez-vous par-là ? Car dans votre série Rétroviseur, ce sont surtout des portraits que l’on voit. Des portraits dans la rue.
HD Je ne dis pas que je ne fais pas de portraits. Les portraits, c’est quasiment la référence de la photographie chez nous, en Afrique, et particulièrement au Mali. Pour preuve, on a de grands portraitistes comme Seydou Keïta ou Malick Sidibé. Ce que je voulais dire, c’est qu’il est important de sortir un peu de cette mentalité occidentale qui pense résumer presque toute la photographie africaine à la photographie de portrait. C’est vrai, chez nous le portrait est extrêmement important. C’est une façon de révéler, de montrer sa propre image, son identité, mais la photographie africaine va au-delà de cette caricature. Dans les collections des grands musées, que voit-on de la photographie africaine ? La photographie de studio. C’est comme si toute la photographie en Afrique, ou au Mali tout particulièrement, se résumait à la photographie de portrait. C’est une tendance que l’on retrouve même chez les jeunes comme moi. Or, nous avons un devoir de mémoire. Celui de rappeler la diversité de la photographie africaine. C’est pour cela qu’avec mes rétroviseurs, je montre toutes sortes de portraits. Des gens simplement. La vie courante. Dans les rues. Et pas forcément dans un studio, ou un salon, ou un espace donné.
CONSTRUIRE UNE AUTRE IMAGE DE L’AFRIQUE, UN DEVOIR
Q Est-ce central pour vous que l’Afrique soit en mesure de créer ses propres images d’elle-même ?
HD Les photographes africains ont un devoir, celui de construire une image africaine. Mon rôle en tant que photographe est aussi de changer le regard que l’on porte sur la photographie africaine. C’est important de photographier le milieu que l’on connaît le mieux. Si je vais en Europe pour photographier la réalité européenne, je ne vais rien photographier qui n’ait été déjà photographié par les Européens. Il faut reconnaître que ma photographie aujourd’hui s’adresse d’abord à l’Afrique, aux Africains, même s’il n’existe pas de marché de la photographie en Afrique, même si je ne peux pas vivre de la photographie. Il s’agit pour moi d’un devoir de montrer une autre image de l’Afrique. Je ne suis bien sûr pas le seul à dire cela, il existe des photographes africains qui pensent la photographie autrement et qui avant de vouloir l’exporter en Europe, la dédie aux Africains.
Interview réalisée à Stuttgart, Staatliche Akademie der Bildenden Künste Stuttgart, 19. 11. 2014
Par Finn Schütt
CORPS ET ENVIRONNEMENT
Q Pourriez-vous nous parler un peu de votre série intitulée Désaffection ?
HD La première idée était pour cette série était d’apprendre à connaître mieux mon propre corps en le plaçant dans un environnement insolite, vieillissant et abandonné. J’ai choisi ces lieux pour exposer le corps, car il me semble qu’ils ont quelque chose de commun avec la couleur noire de ma peau. L’objectif de ces images était de rappeler l’influence du temps sur nous et sur l’environnement qui nous entoure, car tout est appelé à disparaître un jour. Je voulais interpeller les gens sur le caractère éphémère et vieillissant à la fois de notre propre corps et des lieux. Il était très important de choisir des lieux qui ont à la fois une histoire et une mémoire, bien que laissés à l’abandon. J’essaie de montrer les espaces dans leur ensemble, toujours en relation avec moi, sans que je sois placé pour autant au centre de l’image.
ÊTRE PHOTOGRAPHE AU MALI
Q Quels sont les moyens aujourd’hui à Bamako de soutien et de financement de la photographie et des photographes ?
HD Aujourd’hui, il n’y a aucun accompagnement à l’endroit de l’art d’une façon générale au Mali et particulièrement de la photographie. Le ministère de la culture du Mali ne prévoit que 0,45 du budget national à la culture et plus de 80% de ce budget est alloué au fonctionnement de ce ministère. Vous comprenez qu’il n’y a rien pour la culture de façon générale, et à plus forte raison pour la photographie. L’Union Européenne était le principal bailleur de fonds de la culture malienne, mais avec la crise, ils ont gelé leurs financements. Les photographes maliens ne disposent d’aucuns moyens sociaux ou de communication pour soutenir leur profession. Chacun essaie de se battre à sa façon pour survivre.
Interview réalisée par écrit le 27. 07. 2014
Que je fasse ou non un reportage ne change rien à la manière de fabriquer mes images. C’est une question de style.
C’est grâce à des histoires que l’on peut apprendre à obtenir des affections envers des objets, des animaux, les arbres, la nature, et plein d’autres choses.
J’AIME CAPTER L’INSTANT DANS MES PHOTOGRAPHIES. LES MISES EN SCENE M’INTERESSENT MOINS.
LES MUSICIENS CREUSENT DANS LE REPERTOIRE ; ET POURQUOI PAS NOUS AUSSI, LES PHOTOGRAPHES ?

Touaregs, en gestes et en mouvements
Fatoumata Diabaté, 2005

Touaregs, en gestes et en mouvements
Fatoumata Diabaté, 2005

Sutigi – A nous la nuit
Fatoumata Diabaté, 2013

Sutigi – A nous la nuit
Fatoumata Diabaté, 2013

Sutigi – A nous la nuit
Fatoumata Diabaté, 2012

Sutigi – A nous la nuit
Fatoumata Diabaté, 2012

Sutigi – A nous la nuit
Fatoumata Diabaté, 2004

Le studio de la rue
Fatoumata Diabaté, 2014

Le studio de la rue
Fatoumata Diabaté, 2014

Le studio de la rue
Fatoumata Diabaté, 2014

Le studio de la rue
Fatoumata Diabaté, 2014

Le studio de la rue
Fatoumata Diabaté, 2014

Le studio de la rue
Fatoumata Diabaté, 2014

Le studio de la rue
Fatoumata Diabaté, 2014

Le studio de la rue
Fatoumata Diabaté, 2014

L’homme en animal
Fatoumata Diabaté, 2011

L’homme en animal
Fatoumata Diabaté, 2011

L’homme en animal
Fatoumata Diabaté, 2011

Baladjolo, série « L’homme en objet »
Fatoumata Diabaté, 2013

Le tamis
série « L’homme en objet »
Fatoumata Diabaté, 2013

Série « L'usure du temps »
Ibrahima Thiam, 2010

Série « L'usure du temps »
Ibrahima Thiam, 2010

Clichés d'hier, Saint-Louis
Ibrahima Thiam, 2015

Clichés d'hier, Saint-Louis
Ibrahima Thiam, 2015
INSTALLER LE STUDIO DANS LA RUE
FD J’ai un nouveau projet que j’appelle « Le studio de la rue ». L’idée principale est que j’installe mon studio dans la rue, puis j’explique aux gens que c’est un studio des années 1950/1960. Les gens réagissent en général tout de suite : « ah oui, ça c’est bien ! » Ça les intéresse, parce que ce sont des conservateurs. Quand j’ai fait « Le studio de la rue » au Mali, ça a beaucoup amusé les gens.
Q Quelle a été la genèse de ce nouveau projet ?
FD L’idée du « studio de la rue » est venue en me levant un matin. J’ai dit à mon mari : « tu sais, aujourd’hui, je vais faire le studio de la rue. » Il m’a dit : « Vas-y ! » Je suis descendue de chez moi, je suis allée voir les voisins du quartier. J’ai dit : « ce soir, il y a le studio de 17h à 19h ». Tout le monde m’a dit : « Ah oui, on va venir. » Je voulais m’installer chez mon voisin, celui-ci m’a dit : « Attends, je vais réfléchir. » Il n’était pas là, j’ai fait trois tours pour le chercher. J’ai dit à mon voisin, quand je l’ai trouvé : « Bon j’aimerais bien venir installer mon studio ce soir devant ta maison. » Il m’a demandé : « C’est pour combien de temps ? » J’ai dit : « Aujourd’hui seulement. » Il a répondu : « Ah bon, aujourd’hui ; à quelle heure ? » - « De 17h à 19h. » « Ok, c’est parti ! » J’ai descendu les objets, j’ai commencé par des choses simples. Je veux aller dans ce sens, un studio assez simple avec des tissus à l’africaine, un fond particulier et je vais transporter ça partout avec moi.
Interview réalisée à Dakar, Casa Mara Guest House, 17. 06. 14
Par Bärbel Küster, Marion Jäger, Alicia Hernandez-Westpfahl, Marie-Louise Mayer
Les images et les contes dans la mémoire collective
Interview avec Fatoumata Diabaté à Bamako, 2011
DES OBJETS RÊVÉS, TROUVÉS POUR DES HISTOIRES
Q Comment est venue l’idée de votre série intitulée L’homme en objet ?
FD L’idée de cette série est reliée aux histoires et aux contes que j’ai entendus dans mon enfance et qui me suivent encore partout aujourd’hui. Il s’agit d’histoires « désignées pour l’enfant noir » comme l’a dit Senghor. Pour ces photographies, je m’inspire d’histoires qui sont dans ma tête et je crée ensuite des objets au service de ces histoires. Les idées me viennent parfois la nuit, pendant que je suis couchée dans ma chambre. Avant de m’endormir, il m’arrive de rêver les yeux ouverts. Je cherche, je tâtonne toujours un peu. Ce sont des portraits assez simples, qui symbolisent un aspect d’une histoire. Mon usage des objets comme accessoires ou costumes pour l’homme a rapport aussi avec les masques africains, si bien faits, aujourd’hui conservés dans les musées. Je sors de ce contexte du masque africain traditionnel, lié à des coutumes et des croyances précises, pour aller vers quelque chose qui est davantage de l’ordre du déchet. Souvent, je demande même au modèle de fabriquer lui-même cet objet-masque. Il faut que ça soit artisanal, c’est très important. Moi, en tant que photographe, je mets en place ce dispositif, afin de placer les histoires que j’ai entendues derrière des masques, que les jeunes que je photographie ont bricolé avec des choses récupérées.
Q Cette série L’homme en objet symbolise-t-elle aussi la liaison entre le passé et le futur ?
FD Ce sont des histoires je n’ai jamais vécues, ce sont des histoires que l’on me raconte, des histoires comme des rêves. Quand on rêve, on croit vivre pleinement quelque chose, et puis lorsque l’on se réveille, on réalise qu’il ne s’agissait pas de la réalité, et on ne sait plus ce qui était profond et ce qui était en surface. Donc c’est un peu comme ça L’homme en objet : ce sont des histoires comme des rêves, mais qui fonctionnent comme des leçons de morale, des récits qui nous apprennent comment se conduire dans la vie. Qui nous aide à comprendre ce qui nous attend, ce qui peut arriver. Et aussi quel est le lien de l’homme et de l’animal, quel est le lien de l’homme et de l’objet. C’est grâce à des histoires que l’on peut apprendre à obtenir des affections envers des objets, des animaux, les arbres, la nature, et plein d’autres choses.
L’HISTOIRE DE LA DIABLESSE
Q Pourriez-vous nous donner l’exemple d’une histoire qui vous habite tout particulièrement ?
FD Il y a par exemple une histoire avec une diablesse. C’était une orpheline adoptée par une marâtre qui n’était pas bonne, qui était méchante avec sa filleule. Et un jour, il y avait la fête traditionnelle dans le village, et tous les jeunes enfants avaient le droit de porter de nouveaux vêtements, de nouvelles tresses. Tout le monde se faisait beau, sauf la fillette, punie par la marâtre et envoyée dans la nature pour faire des commissions. En partant, la fillette pleurait, envahie de tristesse. Puis une diablesse la vit venir de loin. Transformée en humaine afin que l’orpheline n’ait pas peur, la diablesse lui demanda pourquoi elle était si triste. L’orpheline raconta son histoire avec sa marâtre, que c’était le jour de la fête, que tous les jeunes étaient heureux, que tout le monde était bien coiffé, bien habillé, sauf elle. Après son récit, la diablesse l’emmena chez elle et lui fit de nouvelles tresses. Pour donner corps à cette histoire, j’ai choisi le motif de la longue tresse avec laquelle fixer des objets autour de la tête. Après avoir été tressée par la diablesse, la fillette est devenue différente. La diablesse lui a donné aussi des habits traditionnels. L’orpheline était toute heureuse. Une fois arrivée à la maison, elle avait peur de sa marâtre. Peur de sa réaction. C’est ainsi qu’elle s’est masquée avec ses tresses, pour se protéger et se cacher.
SUTIGI (À NOUS LA NUIT) OU COMMENT PHOTOGRAPHIER LA JEUNESSE
FD La série Sutigi – A nous la nuit renvoie au bel âge de la jeunesse caractérisée par l’insouciance et le désir de liberté. Le point de départ de ce travail était une recherche sur mon univers vestimentaire, celui lié à ma propre jeunesse. À travers les tenues modernes que chacun aime enfiler la nuit pour sortir ou se promener dans le quartier avec des amis, j’ai progressivement porté mon regard vers mes connaissances. Puis je me suis tournée vers des jeunes de différentes nationalités, ceux rencontrés au gré des hasards et de mes déplacements. En Afrique, les jeunes filles aiment particulièrement jouer avec cette élégance vestimentaire. De nombreux d’accessoires (lunettes ceintures, chaussures, etc.) complètent l’accoutrement de la jeune fille dans le vent. Je m’intéresse aussi actuellement à l’élégance masculine, à ses détails, à sa discrétion. C’est aussi une façon de se déplacer, de séduire et d’exister, qui s’associent à un rythme, et un style de vie, singuliers.
Q Comment est née l’idée de réaliser la série « Sutigi » ?
FD Cette série a débuté en 2004 à Bamako, puis elle s’est poursuivie dans d’autres villes du monde, en Afrique du sud, au Congo, au Sénégal, et je souhaite, à l’avenir, la développer ailleurs encore. C’est la même jeunesse que l’on retrouve partout, le même esprit. Avec parfois des différences bien sûr. Par exemple en Afrique du Sud, les jeunes sont libres le jour comme la nuit. Donc j’ai fait là-bas beaucoup de photographies de jour. Au Mali, ou à Brazzaville par contre, on est plus libre la nuit que le jour. Donc j’ai fait des images de nuit. J’ai d’ailleurs éliminé mes photos faites en Afrique du Sud de la série de Sutigi, car je l’ai ai prises de jour et j’ai voulu me concentrer exclusivement sur l’atmosphère nocturne et sa liberté.
Q Et depuis 2004, votre conception de la série a-t-elle évolué ?
FD Ce travail est devenu un réflexe, une quête incessante rattachée à une envie irrépressible de me rapprocher de ces jeunes personnes, à ma façon, et d’entrer en contact avec eux. On remarque cette aisance fréquente devant la caméra, cette fierté presque. Puis on accède à la singularité et à la complexité de chacun, toutes deux liées au moment de notre rencontre. En m’intéressant à cette jeunesse, je livre un témoignage sur mon époque, sur nous, les jeunes, qui au regard de nos traditions, se sentent mieux la nuit que le jour.
LA SIMPLICITÉ DU REGARD
Q Comment définiriez-vous ce qui relie l’ensemble de vos travaux ?
FD On trouve un regard similaire dans toutes mes photographies. C’est la même approche, la même simplicité, le cadrage large. Je cherche un regard simple, je veux m’exprimer assez simplement et c’est ce que je souhaite mettre dans mes images. J’aime beaucoup capter l’instant dans mes photographies. Les mises en scène m’intéressent moins. J’attends l’instant, l’instant naturel. Après, quand je travaille avec les masques, il y a bien sûr de la mise en scène, mais je pense que l’on retrouve la même simplicité du regard. Même dans une situation de mise en scène, c’est l’instant qui décide et qui détermine une image. Même lorsque je travaille en studio, je préfère que les gens me donnent des mouvements spontanés. Qu’ils soient libres et à l’aise, que le contrôle leur échappe. Je ne veux pas critiquer les mises en scène, je le fais aussi, cela marche très bien aussi, mais je crois qu’il faut faire un choix : la mise en scène ou l’instant. Mes photographies, je les réalise des fois en quelques clics seulement. J’ai l’appareil en main et je reste attentive, mon appareil repère quelques mouvements qui peuvent venir, il faut réagir alors très vite, car la situation ne reste pas et change tout de suite. Ça peut être dans le regard, ça peut être dans plein de choses.
Interview réalisée à Stuttgart, 04. 02. 2014
Par Bärbel Küster
L’IMPORTANCE DE LA PAROLE POUR LE PHOTO-REPORTAGE
Q Pourriez-vous nous parler de votre pratique du photojournalisme ? Est-ce une activité principale ou plutôt périphérique ?
FD J’ai fait une formation de journalisme à Dakar en 2010. J’ai commencé le reportage avec cette série – que je vous ai montrée – sur une ferme qui élève des poulets. Aujourd’hui, je peux dire que je me considère un peu comme une photographe journaliste. Mais je n’avais pas commencé par cette pratique-là de la photographie. J’avais tout de même déjà réalisé en 2009 une série commandée par le Musée du Quai Branly « Mali au féminin », une enquête sur les femmes, qui a été exposée à Rennes en 2010 au Musée de Bretagne, avec des photographies de Malick Sidibé. La série sur les poulets m’a été commandée par World Press Photo qui voulait consacrer un dossier photographique sur le thème de la sécurité alimentaire. Différents photographes ont réalisé des reportages dans le cadre de cette commande ; certains ont travaillé sur le riz, d’autres sur l’huile de palme, etc. et les travaux ont été exposés ensuite à Amsterdam.
Q Votre reportage semble témoigner d’un regard critique sur le sujet. Etait-ce votre intention de dénoncer quelque chose concernant les conditions d’élevage du poulet ?
FD La petite difficulté que j’ai eue au départ, c’est que lorsque je suis arrivée dans cette ferme et que j’ai raconté aux gens que je venais faire un reportage sur le poulet, ça les a d’abord fait rire. Puis ils m’ont acceptée ; mais lorsque j’ai commencé à photographier, ils ont vu que je faisais une photo, deux photos, trois photos, et quand cela dépassait cinq photos, ils ont commencé à se méfier. Ils m’ont demandé ce que je voulais faire avec toutes ces photos de poulet. Les personnes qui travaillent à la ferme ne sont pas habituées à faire l’objet d’un reportage. C’était d’ailleurs drôle : parce qu’ils connaissaient pour la plupart les conditions du photojournalisme, ils me réclamaient souvent une interview. Une photographie devait nécessairement s’accompagner d’une interview. Certains se mettaient à me parler et à raconter, avant même que je ne leur demande quoi que ce soit. Cette situation m’a beaucoup intéressée, car j’ai pu rassembler beaucoup d’informations sur le sujet et construire mon regard par rapport à leur récit et leur parole.
Q Le directeur de la ferme semble lui très content.
FD Oui, il était très content et très fier d’être photographié. Il aime beaucoup son travail et pour lui, ce reportage représentait une vraie publicité en tant que producteur de poussins. En ce qui concerne le caractère critique que l’on peut percevoir dans la série, je ne dirais pas qu’il s’agissait d’une intention de départ. J’ai voulu montrer la réalité telle qu’elle est. Sans jugement. C’est ainsi que les gens travaillent avec les poulets. J’ai photographié leur contexte, frontalement.
Q Et pourquoi la couleur, vous qui faites principalement du noir et blanc ? Vos photographies pour ce reportage sont très belles. Elles sont très composées, et affichent une dimension esthétique qui tranche avec le sujet de l’élevage des poulets et donne une dimension artistique à une pratique journalistique. En tant que photographe, comment comprenez-vous les rapports entre photojournalisme et pratique artistique ?
FD Je pratique principalement le noir et blanc, car d’abord j’aime énormément cela, et aussi parce que c’est ma formation initiale. C’est ce que je sais faire. Mais lorsque j’ai commencé à préparer le reportage pour World Press Photo j’ai vite compris que la série devait être en couleurs, parce que l’environnement devait être décrit de manière très réaliste et précise. Après, composer les images, travailler avec la lumière, donner de l’importance à la beauté des photographies, cela vient de ma formation. C’est comme cela que j’ai appris à photographier. Que je fasse ou non un reportage ne change rien à la manière de fabriquer mes images. C’est une question de style, indépendamment du photojournalisme.
LES TOUAREGS ET LES CHAMEAUX
Q Dans quel contexte avez-vous réalisé cette série ? Il s’agissait d’un voyage ?
FD J’ai fait cette série à l’occasion d’un voyage et puis aussi par amour pour les chameaux. Je suis allée au nord du Mali pendant un festival et j’ai été très impressionnée par les chameaux. J’en voyais pour la première fois et j’ai voulu les photographier, ainsi que le contexte touareg autour d’eux. J’ai proposé cette série pour la Biennale de Bamako de 2005 dont le thème était « Un autre monde ».
Q Comment les Touaregs ont-ils reçu votre travail de photographe ?
FD Ils étaient tout à fait d’accord. Avec le festival, ils sont habitués à voir des photographes, des caméramans. Ils étaient même très à l’aise pour être photographiés.
Q Est-ce que la lumière du désert vous a particulièrement inspirée ?
FD Oui, beaucoup. La lumière du désert est magnifique. Il faisait très froid, mais l’intensité lumineuse était vraiment belle. Le sable blanc amplifiait la lumière qui venait se refléter sur les Touaregs et les chameaux. Là, j’ai choisi le noir et blanc.
Interview réalisée à Bamako, Torokorobougou, Point Sud 11. 02. 2011
Par Bärbel Küster, Marleine Chedraoui, Judith Rottenburg, Janine Schöne, Tanja Schüz
La nature ne viendra jamais vous demander de vous lever et de partir. Elle vous laisse là où vous êtes et elle accepte tout ce qui vient.
Ce qui m’intéresse dans la photographie virtuelle, c’est d’immortaliser un moment qui n’existe pas.
LA NATURE, C’EST UN LIEU QUI ME PERMET DE M’EVADER, D’OUBLIER L’EXISTENCE HUMAINE.
PHOTOGRAPHIER LE PAYSAGE
Q Vous avez réalisé des portraits, mais vous vous intéressez aussi à la nature. Pourriez-vous nous parler de vos photographies de paysage ?
AN Je suis partie un jour faire de la randonnée. C’était un moment étrange, où je ne me sentais pas prête pour aller marcher, mais je me suis dit, finalement, que partir me permettrait de me détendre et d’oublier mes soucis. Quand je suis arrivée, j’ai découvert un endroit que je ne connaissais pas du tout, que j’ai trouvé nouveau, que j’ai trouvé très beau. Cela m’a permis d’avoir à nouveau une relation avec la nature, la verdure et les animaux. Ces photographies n’ont donc pas été préparées. Elles ont été prises sur le tas.
Q Avez-vous envisagé de retourner sur les lieux pour refaire des images, préciser ou modifier des choses ?
AN Si jamais j’avais à refaire des photographies, j’irais à une heure où le médecin m’a interdit d’aller sous le soleil. J’irais dans ces heures-ci, parce que les ombres sont moins dures. Si je devais le refaire, je retravaillerais davantage les portes et tout ce qui est architectural, les murs, les masques, les objets, mais je ne pense pas que je retravaillerais les animaux.
Q Est-ce que le paysage a joué un rôle important dans votre formation ?
AN Pas du tout. J’ai été peu en contact avec la nature pendant mes études. J’ai appris surtout à photographier des spectacles, dans un contexte de lumière artificielle, avec des jeux de lumière. C’est paradoxalement en France, dans le cadre d’un workshop à Montbéliard où j’ai fait de la photographie en studio, que j’ai commencé à réfléchir au paysage. A côté du temps de formation, je me suis promenée dans les environs et c’est là que j’ai commencé à développer un travail en rapport avec la nature. J’ai malheureusement perdu ces premières photographies. Aujourd’hui disparues, ces images de nature m’ont pourtant permis de continuer. En un sens, elles existent toujours.
Q Est-ce qu’il y a une grande différence entre les forêts de Montbéliard et les forêts d’ici au Sénégal ?
AN Oui, il y a une grande différence. Les forêts de Franche-Comté sont très vertes et couvertes d’ombres. Parfois, il n’y a presque pas de lumière qui passe, c’est très sombre. Les arbres s’apparentent un peu à un barrage entre deux choses : le sol et le ciel. Ici, au Sénégal, il y a tellement d’espace. Et les arbres sont tout petits. La lumière passe partout, elle est très intense.
UN MONDE VIRTUEL
AN Avec la photographie virtuelle, on a la possibilité de régler la lumière. De rendre le monde un peu plus violet, un peu plus rouge, un plus jaune. On rencontre à l’intérieur de ce monde virtuel des avatars que l’on ne connaît pas et l’on circule dans ce monde. Ce qui m’intéresse dans la photographie virtuelle, c’est d’immortaliser un moment qui n’existe pas du tout. Un monde dans lequel même-moi n’existe pas.
Q Y a-t-il un rapport d’après vous entre monde virtuel et paysage ?
AN Oui, il y a un rapport au sens où l’on crée dans le monde virtuel une nature. Chacun de nous peut aujourd’hui décider de créer la nature comme il l’entend. De développer son environnement, sa lumière et de choisir les couleurs qui vont l’exprimer. Une nature virtuelle. Quand je pense un paysage virtuel, je pars vraiment de rien. Ce qui m’intéresse, c’est le caractère abstrait du point de départ. Il n’y a pas de modèle, comme lorsque l’on photographie le monde réel. Même si souvent j’intègre dans le monde virtuel des photographies issues du monde réel, ce qui reste le plus important, c’est la liberté d’invention. Mais je dois encore préciser et développer cette idée, j’en saurais peut-être plus au fil du temps.
UN LANGAGE UNIVERSEL
Q Quel est le lien de votre travail avec la société ?
AN Pour le moment, aucun. Si je fais de la photographie, c’est d’abord par passion. C’est d’abord pour moi et aussi pour les personnes qui pensent que la photographie a quelque chose à dire. Ce qui compte bien sûr, ce n’est pas ce que je fais, mais ce qui figure dans mes images. Beaucoup d’amis me disent par exemple qu’ils se retrouvent dans mes photographies. Certains me disent : « Ah j’aime bien, je suis resté des heures à regarder cette image, ça m’a permis de penser à autre chose, je stresse moins ». C’est d’abord pour cela que je fais de la photographie. Le jour où le lien de mes photographies avec la société me semblera plus évident, alors ce sera pour moi plus plus facile de travailler dans ce sens-là. Mais pour le moment, c’est une activité qui reste plutôt individuelle.
Q A quelle sorte d’audience pensez-vous, pour vos photographies ? Ce sont plutôt les jeunes ? Les Européens, les Sénégalais ?
AN Je ne fais aucune distinction. Le public visé, c’est tout le monde. Si une personne n’aime pas, c’est comme ça. On ne force jamais les choses. Ce sont tous les âges, toutes les cultures. Ce n’est pas une question que je me pose.
Q Et internet, est-ce que c’est un moyen d’échanger, de diffuser ses images ?
AN Oui c’est un moyen d’échange. C’est un moyen de se faire connaître. Je pense que c’est par internet que vous avez d’abord vu mes images ? C’est un moyen de communication puissant.
Q Et la photographie, est-elle aussi un moyen de communication ?
AN Ça, c’est sûr. On dit que la musique est une langue internationale. La photographie est aussi un langage universel. Je peux prendre une photographie, n’importe où dans le monde, vous lirez l’image à votre façon. Je ne dirais pas : « cette photo signifie que… » Non, vous-même décidez de la signification de cette image. C’est un moyen de communication extraordinaire, avec un rapport ouvert à la signification pourtant. Plus qu’une production de messages, c’est un moyen de détruire les frontières.
Interview réalisée à Dakar, Sicap Amitié 3, Casa Mara Guest House, 18. 06. 2014
Par Marion Jäger, Alicia Hernandez-Westpfahl, Marie-Louise Mayer

Porte
Angélina Nwachukwu, 2014

Méditation
Angélina Nwachukwu, 2014

Masque
Angélina Nwachukwu, 2014

La vie immobile
Angélina Nwachukwu, 2014

La vie en déplacement
Angélina Nwachukwu, 2014

La vie en liberté
Angélina Nwachukwu, 2014

Chemin
Angélina Nwachukwu, 2014

Chemin
Angélina Nwachukwu, 2014

La vie de la mort
Angélina Nwachukwu, 2014
La chambre noire en partage
Interview avec Ibrahima Thiam à Dakar, 2014

Cie Jantbi, Toubab Dialaw, 2005
Série « Danser l'espoir »
Élise Fitte-Duval

Rufine Woté, Bamako, 2005
Série « Danser l'espoir »
Élise Fitte-Duval

Fatou Samb, Dakar, 2010
Série « Danser l'espoir »
Élise Fitte-Duval

Bamba Diagne, Dakar, juin 2009
Série « Danser l'espoir »
Élise Fitte-Duval

Série « Lutte »
Élise Fitte-Duval, 2009

Série « Lutte »
Élise Fitte-Duval, 2009

Série « Lutte »
Élise Fitte-Duval, 2009

Série « Lutte traditionnelle »
Élise Fitte-Duval, 2013
On a tendance à dire souvent, qu’en Afrique, les citoyens ne sont pas maîtres de leur destin, que la société civile n’a pas de poids face aux politiques qui ne respectent pas les règles. Je me suis intéressée à l’alter-mondialisme, car je voulais comprendre dans quelle mesure les gens pouvaient se rassembler.
Je ne peux pas esthétiser la personne. J’ai besoin que la personne soit placée dans son environnement, que l’on tienne compte de l’endroit dans lequel elle vit, dans lequel elle bouge.
L’environnement ne m’interpelle pas seulement dans son immensité. Les aspects locaux m’intéressent aussi.
Ce qui réunit mes photographies sur la danse et celles sur la lutte par exemple, c’est que je cherche à capter le mouvement.
LE LIEN ENTRE TOUS MES PROJETS, C’EST L’HUMAIN PRIS DANS SON ENVIRONNEMENT.
Dans un contexte de presse, une photographie a son autonomie par rapport à l’artiste. Elle est publiée pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le photographe.
Avec la photographie, on peut communiquer mieux qu’avec n’importe quelle autre langue.
Lorsque je sors de mon pays, je ne pense pas que l’on me considère d’abord comme un photographe sénégalais. Et quand je rencontre des collègues européens ou américains, on parle d’abord de photographie.
LA RUE, C’EST L’ETERNITE.
ILS PENSAIENT QUE J’ETAIS AMERICAIN.
LA PHOTOGRAPHIE EST UNIVERSELLE
Q Pensez-vous qu’il y a une « photographie africaine » ?
MG De mon point de vue, il n’y a pas la photographie africaine, européenne ou américaine. Il y a seulement la photographie. Les regards sont différents, les manières de photographier sont différentes. Maintenant, par rapport aux frontières, on peut parler de photographie africaine, européenne ou américaine. Mais ce qui est important, ce sont les photographes. Quand on voit une photographie, on ne se demande pas : « De quelle nationalité est le photographe » ? Mais plutôt : « Qui a fait cette photo ? » Lorsque je sors de mon pays, je ne pense pas que l’on me considère d’abord comme un photographe sénégalais. Et quand je rencontre des collègues européens ou américains, on parle d’abord de photographie. C’est universel. Je pense qu’il est impossible de créer des frontières par rapport à cette langue universelle qu’est la photographie. Avec la photographie, on peut communiquer mieux qu’avec n’importe quelle autre langue. Les photographes peuvent parler avec les analphabètes. Et quand je parle des « analphabètes », je veux dire que nous tous sommes, en un sens, des analphabètes, parce qu’il y a toujours la langue de l’autre que l’on ne comprend pas. Après, cela ne règle pas le problème de ceux qui ne savent pas regarder. Les analphabètes visuels.
LES TROIS TEMPS DU REGARD
Q Communiquez-vous autour de vos photographies ? Voulez-vous les expliquer ? Que se passe-t-il lorsque le public qui reçoit vos images ne sait rien de leur contexte par exemple ?
MG Quand je fais une exposition, je fais une première sélection de photographies, je vais voir ensuite des personnes qui ne sont pas familières de la photographie. C’est d’abord à ces gens-là que je présente mes photographies, si je dois faire des reportages par exemple. Et quand je leur montre mes images, ils me disent : « Ah ! Ça j’aime bien. Ça j’aime bien. Ça j’aime bien. » Cet échange me donne une petite idée de la personne qui n’a pas l’habitude de lire certains aspects de la photographie. C’est seulement après que je vais discuter avec des professionnels. C’est important pour moi d’avoir une idée du regard professionnel et du regard non-professionnel. C’est comme ça que je fais d’habitude mes sélections. Il y a trois moments importants où l’on fait des choix. Le premier choix, c’est celui du regard, celui du moment de la prise de vue et ça m’appartient. C’est le choix du photographe qui fait son image. Le deuxième choix, c’est la sélection des images que je peux orienter selon différents points de vue (le professionnel et le non-professionnel). Et le troisième choix, c’est la réception des images. C’est l’amateur ou le professionnel qui regarde les images que j’ai choisies, c’est le public dans toute sa variété qui va juger les photos que je présente.
REPORTAGE OU EXPOSITION
Q Quelle est la différence pour vous entre un reportage et un travail artistique pour un photographe ?
MG Le photographe reporter est spécialisé dans la photographie de presse. C’est le sujet que l’on traite qui fait que l’on devient photographe reporter. Quand je sors de ce cadre, je travaille différemment. Je commence souvent par écrire un texte. Je choisis un sujet photographique et je fais de l’art. N’oublions pas que chaque photographie vit seule. Mais tout dépend du contexte et de la série pour présenter des photographies. Il faut faire un travail de longue haleine pour penser une exposition. Dans un contexte de presse, la photographie a son autonomie par rapport à l’artiste. Elle vit toute seule au sein du journal, on la publie. Par contre, dans une démarche artistique, tout dépend de la manière de traiter un sujet ou un fait. Et donc du travail que tu as fait pendant un certain temps en amont. Dans un journal, c’est juste une photographie sur un fait qui existe et que l’on publie pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le photographe. Dans le contexte d’une exposition, c’est différent. Une démarche artistique, c’est penser à un titre, écrire un texte, montrer un travail cohérent.
ECHANGER, CROISER LES REGARDS
MG C’est l’expérience qui est importante de mon point de vue. Dans la vie on apprend toujours. Quand on échange, on gagne en ouverture. C’est comme lorsque l’on parle de coopérations : le transculturel, c’est important. Il faut croiser les différents regards. Discuter de notre propre travail entre photographes nous rapproche les uns des autres. C’est important d’échanger, d’aller vers une autre culture, de ne pas être fermé. La personne fermée, qui pense tout connaître, se trompe lourdement. Chaque fois que l’on sort de son propre cadre, pour aller vers un autre cadre, on découvre une chose nouvelle. Et cette chose nouvelle, c’est quoi ? Cela fait partie de l’enseignement. Cela dit, l’enseignement, c’est la maison, c’est l’école, c’est la rue. Et la rue, c’est l’éternité.
Interview réalisée à Dakar, Goethe-Institut Sénégal, 19. 06. 2014
Par Bärbel Küster, Marion Jäger, Alicia Hernandez-Westpfahl, Marie-Louise Mayer

Clin d'œil à Bilbao
Mamadou Gomis, 2012

Clin d'œil à Bilbao
Mamadou Gomis, 2012

Clin d'œil à Bilbao
Mamadou Gomis, 2012

Clin d'œil à Bilbao
Mamadou Gomis, 2012

Clin d'œil à Bilbao
Mamadou Gomis, 2012

Clin d'œil à Bilbao
Mamadou Gomis, 2012

Clin d'œil à Bilbao
Mamadou Gomis, 2012

Clin d'œil à Bilbao
Mamadou Gomis, 2012

Clin d'œil à Bilbao
Mamadou Gomis, 2012

Série « Lutte »
Élise Fitte-Duval, 2009

Série « Lutte »
Élise Fitte-Duval, 2009

Série « Portrait d'un mouvement citoyen »
Élise Fitte-Duval, 2011-2012

Série « Lutte traditionnelle »
Élise Fitte-Duval, 2013

Série « Portrait d'un mouvement citoyen »
Élise Fitte-Duval, 2011-2012

Série « Portrait d'un mouvement citoyen »
Élise Fitte-Duval, 2011-2012

Série « Portrait d'un mouvement citoyen »
Élise Fitte-Duval, 2011-2012

Série « Portrait d'un mouvement citoyen »
Élise Fitte-Duval, 2011-2012

Série « Lutte »
Élise Fitte-Duval, 2009

Série « Lutte »
Élise Fitte-Duval, 2009

Fatou Cissé, Dakar, 2005
Série « Danser l'espoir »
Élise Fitte-Duval
LA PERSONNE INDISSOCIABLE DE SON ENVIRONNEMENT
Q Comment définiriez-vous le lien entre tous vos projets ? Entre vos projets sur la danse par exemple, qui sont dans une recherche plutôt formelle et esthétique, et vos projets consacrés à des problèmes environnementaux et sociaux ?
EFD Le lien entre tous mes projets, c’est l’humain pris dans son environnement. Ce qui réunit mes photographies sur la danse et celles sur la lutte par exemple, c’est que je cherche à capter le mouvement. J’étais quelque part dans le mouvement de la photo et j’étais à l’intérieur peut-être même de l’image. Cela donne un certain type de photographie, parce qu’il s’agit d’arrêter un mouvement. Quand il s’agit de photographier un fait social qui n’a pas trait au mouvement et qui raconte un problème – sûrement plus long à photographier que de produire l’image d’un mouvement – je le traite autrement. Le fait de placer le sujet dans son environnement de façon plus frontale permet au spectateur de prendre davantage de recul. Cela permet également à la personne qui photographie, c’est-à-dire moi, de laisser le personnage s’exprimer davantage par un portrait. Quand il s’agit de faire des portraits, je les pense comme des portraits sociaux et non d’un point de vue esthétique. Je ne peux pas esthétiser la personne graphiquement. C’est peut-être possible, mais moi, je ne peux pas. J’ai besoin dans ce type de portrait que la personne soit placée dans son environnement, que l’on tienne compte aussi de l’endroit dans lequel elle vit, de l’endroit dans lequel elle bouge. C’est ça, la différence entre les portraits liés à un contexte social et les images que j’ai réalisées avec les danseurs par exemple.
UNE TENDANCE A CONCEPTUALISER
Q Qu’est-ce qui détermine votre envie de faire une photographie ? L’image elle-même ou le sujet social ?
EFD J’ai tendance à conceptualiser un peu, à voir le monde à travers les analyses que je fais et à ensuite aller chercher les images qui correspondent à mon idée de départ. Donc je peux dire que, par exemple, avec les photographies de danse, je voulais aller à la rencontre des danseurs et montrer leurs lieux et leurs « conditions » de travail. Mais voilà, en allant à la rencontre du sujet, j’ai trouvé des éléments proprement esthétiques et d’autres qui correspondent aux lieux et aux moments de répétition. Cela aurait pu être quelque chose de plus documentaire où l’on montre un danseur, du lever au coucher, ou au dîner, mais ce n’était pas ça. J’étais aussi à la recherche de la danse elle-même. Donc, ça passait aussi par quelque chose de plus esthétique.
SUJETS DOCUMENTAIRES, CHOIX ESTHETIQUES
EFD Avec la série « Vivre les pieds dans l’eau », mon idée est d’aborder un problème récurrent dans les banlieues de Dakar : la pluie. Comme les infrastructures sont inadaptées, les habitants des quartiers subissent des inondations. Tous les ans, des photographes documentent ce problème social et environnemental. C’est un fait d’actualité que j’ai voulu photographier aussi, parce que c’est terrible. En même temps, je voulais montrer les gens, plus que le problème. Montrer des gens qui affrontent un problème quotidien. Esthétiquement, je cherchais la voie qui me convienne. Je voulais que mon sujet soit des gens qui luttent et pas forcément amener les gens à s’apitoyer sur eux-mêmes. Donc, j’ai traité ça par la couleur, et des couleurs assez contrastées. C’est comme ça : d’une part on cherche à montrer un sujet, et d’autre part il y a des envies esthétiques avec lesquelles on essaie de construire le sujet.
CLIMAT: DU GLOBAL AU LOCAL
Q Vous avez réalisé aussi une série photographique sur les journées dédiées à l’impact climatique. Les gens tiennent un point blanc dans leurs mains. De quoi s’agit-il ?
EFD Là, c’était une commande. J’avais participé à une journée internationale sur les problèmes d’environnement. Il y avait plusieurs groupes et chaque groupe choisissait un objet qui soit une façon d’alerter. J’ai choisi le point blanc et l’objectif était de relier ensemble chaque point de la planète. L’environnement ne m’interpelle pas seulement dans son immensité. Les aspects locaux m’intéressent aussi. Par exemple, les inondations sont un problème d’environnement. Dans le cas du Sénégal, je pense que la population n’a pas forcement le recul nécessaire pour pouvoir agir sur son environnement et il faut une action quotidienne pour sensibiliser les gens. Il y a tellement de sujets que l’on pourrait relier à la question de l’environnement ici. Par exemple, le plastique. Il y a des sujets que je n’ai pas pu montrer. Je voulais montrer la sècheresse par exemple, avant de m’intéresser aux inondations d’Alger. Je suis allée dans un endroit où les cultivateurs ne peuvent pas cultiver et où beaucoup de gens sont partis. Nombreux sont ceux qui migrent vers l’Europe, parce qu’ils ne peuvent plus cultiver leurs champs. C’est un sujet que je n’ai finalement pas pu traiter. Avant les inondations, j’ai voulu faire un travail sur la sècheresse, parce que sur douze mois de l’année, parfois il n’y a que deux mois de pluie.
Q Qu’il s’agisse de la sècheresse ou des inondations, vous avez dit que vous voulez montrer des gens qui affrontent un problème, qui vivent dans des circonstances compliquées. Comment les gens réagissent-ils, lorsque vous arrivez en disant que vous souhaitez faire une documentation sur leur situation ? Veulent-ils montrer leurs problèmes ou bien d’abord se montrer eux-mêmes ?
EFD La population du Sénégal est très fière, les gens n’aiment pas être montrés dans des conditions précaires et difficiles, mais dans le cas de cette série « Les pieds dans l’eau », il s’agit d’un sujet d’actualité. Les gens sont conscients qu’il est nécessaire de montrer ce qui se passe, parce qu’ils sont impuissants face à ce problème. Ils sont conscients que c’est un problème qui concerne la communauté, que seules les autorités peuvent résoudre… Se faire prendre en photo, dans ce contexte, était donc aussi un moyen pour eux d’alerter les autorités. J’ai photographié les gens dans leur quotidien, le chef du quartier leur a expliqué un peu, et partant de là, les gens étaient d’accord. Ils ont pu préserver leur fierté grâce à la façon dont ils se présentaient face à l’appareil-photo.
MOUVEMENTS CITOYENS
Q Est-ce un devoir pour vous en tant que photographe que de documenter en images les grands bouleversements sociaux ?
EFD Je ne sais pas si c’est un devoir. On a tendance à dire souvent, qu’en Afrique, les citoyens ne sont pas maîtres de leur destin, que la société civile n’a pas de poids face aux politiques qui ne respectent pas les règles. Je me suis intéressée à l’alter-mondialisme, car je voulais comprendre dans quelle mesure les gens pouvaient se rassembler. Les élections au Sénégal [en 2012] ont été un moment riche pour observer si les citoyens ont pu avoir un poids sur la politique ou pas. Ce sont des questions que je me pose, je suis donc allée faire un reportage. Quelque part, c’est un peu comme avec la danse : je me laisse porter par le mouvement, je me suis laissée porter par les événements. En mars 2011, des manifestations ont commencé à avoir lieu, et cela jusqu’en mars 2012 pour les élections, donc pendant à peu près un an. Au départ, je voulais suivre les groupes organisés sur le modèle de mouvements citoyens. Le premier dont j’ai entendu parler était « Y’en a marre » qui semblait vraiment mener des projets d’actions citoyennes et qui avait un discours de changement. Les mentalités des populations doivent changer si l’on veut qu’elles s’approprient et qu’elles respectent le bien commun. Il a fallu faire du porte-à-porte pour que les gens, par exemple, nettoient ensemble leurs quartiers. Il s’agissait donc vraiment d’actions citoyennes. En ce qui concerne les élections, il y a eu également des actions pour inciter les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales. Les projets menés par le groupe « Y’en a marre » correspondaient le plus à l’idée que je me faisais d’un mouvement citoyen. Ensuite, il y a eu des actions plus directement politiques, c’est-à-dire des actions qui ont provoqué le mouvement du 23 juin à la suite d’un événement politique. Une énorme manifestation s’est formée dans tout le pays. Les gens se sont rassemblés devant le parlement pour empêcher le président sortant de proposer une loi lui permettant d’être réélu avec seulement 25% des suffrages, et, en même temps, d’avoir un paquet présidentiel au sein duquel il serait président avec un vice-président élu en même temps que lui, avec seulement 20% des voix. Ce projet de loi a provoqué un énorme mécontentement et, de cela, est sorti un deuxième mouvement qui s’appelait le « M 23 ». Cet autre mouvement ne correspondait finalement pas totalement à l’idée que je me faisais d’un mouvement citoyen. C’était un mouvement de réaction et de lutte politique. Au départ, je voulais donner un visage à ces citoyens qui luttaient, et, au fur et à mesure, mon travail s’est transformé en une chronique des manifestations actuelles. A partir du 23 juin [2011], les manifestations ont eu lieu une fois par mois, jusqu’à la campagne. A côté des manifestations, il y a aussi les actions initiées par le mouvement « Y’en a marre ». Et à partir de janvier 2012, les manifestations se sont intensifiées. La forme du photoreportage s’est imposée à ce moment-là.
Interview réalisée à Dakar, Liberté 6, 18. 06. 2014
Par Bärbel Küster, Marion Jäger, Marie-Louise Mayer, Alicia Hernandez-Westpfahl

Installation « Les gardiens du temple »
Ibrahima Thiam, 2014

Série « L'usure du temps »
Ibrahima Thiam, 2009
LE REFLET EST UN TEMOIGNAGE.
DANS MON TRAVAIL, JE PRATIQUE L’INSTALLATION ET LA PHOTOGRAPHIE.
Je développe ma pratique autour de la photographie contemporaine et des archives photographiques.
Les moyens les plus simples me suffisent pour créer des images tout entières pénétrées de mystère, une sorte d’au-delà présent et familier.
Série « Reflet »
Ibrahima Thiam, 2014
Série « Reflet »
Ibrahima Thiam, 2014

Série « Reflet »
Ibrahima Thiam, 2010

Série « Reflet »
Ibrahima Thiam, 2010
Série « Reflet »
Ibrahima Thiam, 2010
Série « Portrait Vintage », Dakar
Ibrahima Thiam, 2016




Série « Reflet du miroir »
Ibrahima Thiam, 2013
Série « Portrait Vintage », Saint-Louis
Ibrahima Thiam, 2016
Série « Reflet »
Ibrahima Thiam, 2014
Vue de l’installation « Clichés d'hier », Bamako
Ibrahima Thiam, 2015
LE RESPECT DU REFLET
Q : Quelle est l’origine de votre série Reflets ?
IT La série Reflets est apparue à Saint-Louis, en 2010, avec les problèmes d’inondation. Natif de cette ville, c’est quelque chose qui m’a touché. La population surtout a rencontré de gros problèmes, et moi, en tant que photographe, je ne pouvais pas venir les photographier comme ça. Je ne voulais pas rentrer dans leur intimité et le reflet était là pour moi. Le reflet était un témoignage de cette inondation. Dans cette série, je m’inscris dans une démarche de photographie plasticienne. Dessiner et peindre avec la lumière en montrant le vécu quotidien. Je me tourne vers le sujet de l’environnement et de la sensibilisation aux ressources naturelles. Ces photographies s’intéressent à la nature comprise comme lieu de ressources spirituelles et dénoncent les phénomènes qui la mettent en péril. Avec ces photographies, je veux mettre en évidence la perspective des hommes dans leur environnement.
La photographie en tant que medium exploite ce sujet à travers divers langages artistiques, tout en réclamant son rôle d’acteur social. L’œuvre questionne le monde tant sur le plan écologique, politique, social, que spirituel. Dans cette série Reflet, par un effet de lumière sur l’eau, il s’agit de sortir de l’obscurité pour aller vers la lumière avec des éclats de reflets. Je montre la réalité, je peins des images déformées aussi bien que des rêves, je pose des questions et j’invente des fantaisies utopiques et ludiques. L’inversion du reflet permet de remettre « à l’endroit » en quelque sorte le réel, et surtout les personnes, qui une fois photographiés retrouvent ainsi leur orientation naturelle. De plus, chacun peut s’identifier grâce à l’absence d’identité : une lecture de tout un monde.
PEINDRE AVEC LA PHOTOGRAPHIE
Q : Vous qui êtes autodidacte, vous croisez plusieurs genres, plusieurs moyens d’expression artistique. Comment cela est-il venu ?
IT J’ai pu m’exprimer à travers la photographie. Mon premier apprentissage visuel était la peinture, et je me suis dit que l’on peut peindre avec l’appareil-photo. J’aime la peinture, et avec l’appareil-photo, on peut peindre. Après mes études en économie, je me suis consacré à la photographie suite à un atelier durant le Mois de la photographie à Dakar en 2009 avec le Goethe-Institut. Dans mon travail, je pratique l’installation et la photographie. Je me suis familiarisé avec l’histoire de l’art en rencontrant des artistes plasticiens et visuels. A travers la photographie, je veux montrer la transversalité des mediums d’expressions.
COLLECTER, COLLECTIONNER LES IMAGES
Q : Comment avez-vous constitué votre collection d’anciennes photographies ?
IT J’ai commencé à m’intéresser à ces photographies, les vieilles photos d’albums, quand j’étais petit. J’ai toujours gardé cette collection-là avec moi. En 2009, quand j’ai commencé à faire de la photographie, j’ai fait des recherches sur l’histoire de la photographie africaine et j’ai réalisé que les photographies de ma collection faisaient partie de l’histoire de la photographie africaine. J’ai entamé une collecte d’images à partir des archives de ma famille, puis j’ai commencé à chiner d’autres images au gré de mes découvertes. Je développe ma pratique autour de la photographie contemporaine et des archives photographiques. Autodidacte, je continue un travail de collecte entamé depuis mon enfance, ce qui a contribué à forger mon imaginaire tout au long de ma vie.
MEMOIRE ET ARCHIVE VISUELLE
La photographie peut être un miroir pour l’humain, et c’est surtout vrai dans le cas du portrait. Durant le 20e siècle particulièrement, Saint-Louis a connu, à l’instar de quelques autres villes au Sénégal, une riche production photographique dans les studios-photos de l’époque. La série de portraits titrée « Vintage », pour sa relation au passé, interroge la notion de souvenir, et même de réminiscence, pour certaines générations. Elle est composée d’anciennes photographies chargées d’histoire(s), d’émotions et de temps-durée, qui peuvent inviter à un véritable voyage dans le passé.
Aujourd’hui, ces images constituent une archive visuelle, donc mémorielle, et elles sont des sortes « d’objets-témoins ». A mon propre niveau, ces images captivent mon attention et m’inspirent la volonté de leur donner une seconde vie, à travers une démarche artistique, de création. Ces photos anciennes sont un pan non négligeable du patrimoine saint-louisien et sénégalais. Dans ce travail précisément, j’essaie de combiner des photographies d’archives avec des images du présent.
INSTALLER LE MIROIR DANS LA RUE
Q : Pourquoi mettre un miroir dans la rue et le photographier ? Pensez-vous ce geste comme une installation ?
IT Je pose un miroir dans la rue pour imiter la photographie. Comme s’ils voyaient une image photographique, les gens viennent et regardent ce miroir posé là sur le trottoir. Et ça, c’est quelque chose qui m’intéresse aussi que de voir comment les gens sont attirés par l’image reflétée par un miroir. La photographie est, quelque part, comme un miroir pour l’humain. Je comprends cette situation comme une confrontation, le fait de le mettre dans la rue.
Q : Et comment ça se déroule ? Vous posez le miroir quelque part dans la rue et les gens viennent ? Il y a du monde ? Qu’est ce qui se passe ?
IT Quand j’installe le miroir, les gens viennent et veulent par exemple se regarder dans le miroir. Mais il y a des gens aussi qui le voient et passent. Ce que je photographie, c’est l’après, l’environnement. Parce que c’est quelque chose qui me permet de percevoir mon environnement, c’est comme l’appareil-photo. Parce que la photographie c’est ça : ça me permet de m’exprimer, et en même temps, de percevoir mon environnement. Ce qui m’intéresse dans le miroir, c’est le hors-cadre. Le fait de cadrer. Pas de cadrer avec mon appareil-photo, mais de cadrer à l’extérieur de mon appareil-photo, avec le miroir.
ORDINAIRE ET MYSTERE
Q : Avec votre série L’usure du temps, vous vous êtes intéressé à la question de la mémoire dans son rapport aux choses quotidiennes. La photographie est-elle un médium privilégié pour observer le passage du temps ?
IT L’usure du temps est une série inspirée de sujets très ordinaires, je considère les sujets quotidiens comme un équivalent visuel du « langage ordinaire ». La photographie s’est trop appuyée sur des sujets « privilégiés » : personnalités célèbres, événements dramatiques, lieux exotiques. Avec cette série, je montre le monde ordinaire qui semble être hors de tout sujet « obscène » au sens premier du terme, prenant comme modèle mon environnement de chaque jour. Les moyens les plus simples me suffisent pour créer des images tout entières pénétrées de mystère, une sorte d’au-delà présent et familier.
Avec L’usure du temps, il s’agit de montrer que la photographie ébranle la réalité plus qu’elle ne la confirme, elle peut faire croire tout et rien car « il est possible de concrétiser toutes les images que nous avons dans l’esprit ». Ces images décrivent avec subtilité le processus complexe du passage d’un état à l’autre, de la destruction à la récréation, de la disparition à la renaissance, dans un éternel recommencement. Cette série montre que la nature vue par l’appareil-photo est différente de la nature vue par l’œil humain. Elle photographie le presque rien, le banal et incite à ralentir, et à retenir, l’instant.
MISE EN SCENE AVEC DES OBJETS
Q : Pourriez-vous parler un peu de cette installation que vous aviez présentée au Goethe Institut de Dakar [Juin 2014] sur les gardiens ?
IT Il s’agissait d’un projet intitulé Les gardiens du temple. Je n’ai pas voulu prendre en photo les gardiens car je ne voulais pas rentrer dans leur intimité sociale. Alors j’ai eu l’idée de faire cette installation : d’être moi, en tant qu’artiste, le gardien, de partager cette expérience avec les gardiens en faisant la même chose qu’eux. J’ai rassemblé tout un tas d’accessoires et d’objets qui font le quotidien du gardien : la chaise, les allumettes, le fourneau, le thé qui est toujours prêt à être bu. Et ensuite, il a fallu mettre tout ça en scène.
Interview réalisée à Dakar, Librairie Athéna, 20. 06. 14
par Bärbel Küster et Marion Jäger
Pour moi les linguères d’aujourd’hui, ce sont toutes ces femmes qui sont dans la société, qui sont dans le milieu culturel que je fréquente et qui arrivent à imposer quelque chose. Mais elles tiennent à ce qu’elles font par passion, par amour. Ce sont des comédiennes, des bloggeuses culturelles, des chanteuses, des modèles, ce sont toutes ces femmes-là jusqu’à celles qui sont dans le village, qui vivent encore de façon traditionnelle et qui restent des femmes de rigueur.
Quand on vous dit que « vous êtes une linguère », tout le compliment est pour vous. Cela signifie que vous êtes une femme de principe, une femme de rigueur et belle de surcroit.
« LES LINGUERES », CE SONT CES FEMMES DANS LES ANNEES 1800 QUI ETAIENT SOIT DES FILLES DE ROIS, SOIT DES FEMMES DE ROI.
LE NOIR ET BLANC ME PARLE BEAUCOUP PLUS EN MATIERE DE SENTIMENTS QUE LA COULEUR.
DES PHOTOGRAPHES ENGAGÉS
Q Avec Elise Fitte-Duval, nous avons évoqué le mouvement du 23 juin [2011] qui a eu lieu à Dakar et pendant lequel beaucoup de photographes sénégalais se sont engagés. Etait-ce le cas pour vous aussi ?
MD Pour moi, l’art a vraiment eu raison de faire descendre la population dans la rue et de demander le changement. À ce moment-là, l’art est intervenu comme un facteur de changement. Les gens n’en parlaient pas trop, mais ça se voyait, parce que grâce à la photographie et aux photographes, cela a permis aux gens de retracer ce qui s’était passé. Les rappeurs, par leurs voix, ont amené les gens à descendre dans la rue et à demander qu’Abdoulaye Wade s’en aille.
EXPOSER DANS LA RUE POUR DIFFUSER DES MESSAGES
Q On a souvent essayé de montrer la photographie dans la rue à Dakar, à Bamako, à Johannesburg en Afrique du Sud. Que pensez-vous du fait d’exposer des photographies dans la rue ? Quels sujets photographiques choisiriez-vous, si vous deviez faire du « street art » ?
MD Il y a une série de portraits que j’ai commencé à faire avec des messages, du body-painting. J’ai repris l’idée du graffiti sur les murs où c’est le corps humain qui devient le support. Les messages vont en direction de la population. Mon idée a été d’écrire ces messages sur des parties du corps. Ces messages peuvent parler de savoir, de civisme, de ce genre de choses, sur un dos ou sur une main. On avait fait un petit workshop avec le Goethe Institut sur l’ADN urbain de Dakar. J’avais fait une série de portraits sur ce sujet. J’avais demandé à un graffeur de dessiner des messages que j’ai ensuite pris en photo. J’ai fait plusieurs images déjà et le projet continue. Dans le cadre d’un autre projet, je suis aussi en train de prospecter ce que l’on appelle « lap skin ». Ce sont ces pommades que l’on utilise pour se blanchir la peau ou bien ces défrisants qu’on se met sur les cheveux et qui brûlent le cuir chevelu. L’idée serait de faire des macros. Pas de montrer des visages, mais de montrer les dommages que cela fait. Je pense que ce sera très intéressant de traiter ce sujet dans la rue. Je pense que les femmes ont besoin de ne plus avoir ce complexe qui n’est pas forcément donné par l’Occident, mais par les hommes qui pensent qu’une femme blanche, c’est beaucoup mieux qu’une femme noire ou bien qui disent : « on les aime blanches ». Les femmes, à cause de ce regard masculin, vont se blanchir la peau et font n’importe quoi. Elles utilisent de l’eau de javel, des choses qu’on ne peut vraiment pas imaginer. J’en connais certaines qui peuvent témoigner : si elles avaient connu les dommages occasionnés, elles ne l’auraient pas fait. Beaucoup ne savent pas. C’est surtout la jeune génération qu’il faut informer. Une enfant de neuf ans qui passera devant une photo, sera choquée de voir ça et demandera sûrement ce que c’est. On lui dira : « Ça, ce n’est pas bien, il ne faut pas faire, c’est interdit, ne le fais jamais ».
LE NOIR ET BLANC, LANGAGE DES SENTIMENTS
Q Vous avez choisi le noir et blanc pour la série Les linguères [2011-2013], comme pour beaucoup d’autres aussi. Est-ce que l’usage du noir et blanc est essentiel pour cette idée de monumentaliser les femmes ?
MD Non. En fait, je ne sais pas comment ça m’est venu clairement, mais je sais que lorsque j’ai commencé la photographie, dans ma famille, j’avais un oncle photographe qui avait un studio de photographie en 1969 à Saint-Louis. Le studio s’appelait « artistin ». Avec une amie, on est allé au musée de l’enfant à Saint-Louis, et là, j’ai découvert certaines de ses photographies qui sont archivées là-bas. Je savais qu’il faisait de la photographie, mais je ne m’étais jamais intéressée à son travail. À ce moment-là, je me suis intéressée à son travail en noir et blanc et ça m’a parlé beaucoup plus que la couleur, à cause du concept d’ombre et de lumière. Les ombres servent à révéler les formes, et la lumière, à révéler l’image, car on sait que sans lumière, la photo serait vraiment toute noire et qu’on ne pourrait pas la lire. Le noir et blanc me parle beaucoup plus en matière de sentiments par rapport à la couleur. Je fais du noir et blanc, je ne sais pas quel mot utiliser, mais ça me parle beaucoup. C’est intemporel pour moi car avant de connaître la couleur, on était en noir en blanc. C’est comme si on retournait des années en arrière. J’aurais aimé retrouver cette époque, là où on photographiait, là où on faisait des agrandissements, pas avec Photoshop, mais avec le matériel qu’il fallait pour faire de l’argentique, la source de la photographie. Le noir et blanc est venu comme ça, et c’était un moyen pour moi de me démarquer de toutes les autres photographies, car on est quand même assez nombreux à faire de la photographie. Il fallait trouver quelque chose pour avoir un style. C’est venu comme ça. Au fur et à mesure que j’ai traité mes photos, j’arrivais à découvrir comment les traiter pour avoir un rendu argentique à l’impression. C’était ça, mon objectif. Si j’avais le choix aujourd’hui, je referais peut-être de l’argentique, on ne sait jamais.
Interview réalisée à Dakar, Liberté 6, 20. 06. 2014
par Marion Jäger, Bärbel Küster, Alicia Hernandez Westpfahl

Vendeur de Café, Médina de Dakar
Série « Dakar Urban Life »
Malika Diagana, 2014

Princesse à la noix, Série « Dakar Urban Life »
Malika Diagana, 2013

Linguère, Série « Linguères »
Malika Diagana, 2014

Linguère, Série « Linguères »
Malika Diagana, 2014

Linguère, Série « Linguères »
Malika Diagana, 2014

Ken Aisha Bloggeuse, Série « Cultural Linguere »
Malika Diagana, 2014

Jeune Fille, Série « Dakar Urban Life »
Malika Diagana, 2014

Graffeur Tacher Beaugraff, Série « Dakar Urban Life »
Malika Diagana, 2014

Becaye Souare, Série « Dakar Urban Life »
Malika Diagana, 2014

Graffeurs RBS CREW, Série « Dakar Urban Life »
Malika Diagana, 2014

Tamsir Ndir – Dj, chef
Série « Le studio des Vanités »
Omar Victor Diop, 2012

Manden l’Original - Bloggeur
Série « Le studio des Vanités »
Omar Victor Diop, 2012

Soif
Série « Le futur du Beau »
Omar Victor Diop, 2011

Milo – Fashion designer
Série « Le studio des Vanités »
Omar Victor Diop, 2012

Adama Paris – Designer, entrepreneuse dans la mode
Série « Le studio des Vanités »
Omar Victor Diop, 2013

Kraft
Série « Le futur du Beau »
Omar Victor Diop, 2011

Aminata Faye
Série « Le studio des Vanités »
Omar Victor Diop, 2013

Joel Adama Gueye – Chanteur, compositeur, modèle
Série « Le studio des Vanités »
Omar Victor Diop, 2011

Gaël Mongo – Chanteuse, coach vocal
Série « Le studio des Vanités »
Omar Victor Diop, 2013

Ken Aïcha Sy – Bloggeuse, a fondé un label de musique
Série « Le studio des Vanités »
Omar Victor Diop, 2011
« LE PAIN N’EST PAS SEULEMENT FAIT POUR LES BOULANGERS »
Ce qui m’a toujours fasciné dans les travaux de Jean-Paul Goude, Annie Leibovitz et Richard Avedon, c’est ce goût pour le dramatique, ce goût pour l’irréel et le fantaisiste.
La Beauté
Interview avec Victor Omar Diop à Dakar, 2014
Ricarda Roggan
Malta Wandel
Lukas Einsele
Alima Diop
LA PHOTOGRAPHIE, C’EST UN MOMENT DE RÊVE, UNE ÉCHAPPATOIRE, C’EST LE SUBLIME.

Bleue
Série « Le futur du Beau »
Omar Victor Diop, 2012
UNE IMAGE POSITIVE DE L’AFRIQUE
Q Dans un article, vous vous démarquez de la photographie comprise comme outil de témoignage, vous l’utilisez plutôt comme une invitation à rêver. Pensez-vous que la photographie en Afrique a tendance à montrer une réalité plutôt négative ? Essayez-vous d’être plus créatif avec cette réalité ?
OVD Il y a toutes les écoles en Afrique. Je pense que c’est nécessaire qu’il y ait des gens qui se spécialisent et qui montrent les choses qui ne vont pas bien, c’est un devoir de documentation. Il y a des gens qui sont très bons pour ça, et d’autres qui sont un peu moins familiers avec ces situations difficiles. Je suis très urbain comme Sénégalais Dakarois, je ne connais que Dakar. C’est un univers et un ensemble de personnalités, une société que je connais parce que j’en fais partie, c’est vraiment mon sujet de prédilection. Je pense que des gens comme moi qui parlent justement de cette Afrique-là, urbaine, très ouverte sur le monde et qui l’a toujours été, sont tout aussi utiles que des gens qui justement ont les compétences, la légitimité, et l’intérêt pour montrer d’autres choses un peu plus sombres. C’est une balance, il faut vraiment que chacun se spécialise dans ce qui l’intéresse, et aussi ce sur quoi il est susceptible de produire un contenu qui aura un impact, aussi bien sur le continent que sur les perceptions que le reste du monde a du continent.
L’ART POUR TOUS – UNE ANECDOTE
Q Vous évoquez le fait que vous abordez votre sujet de manière ludique. Quelle importance accordez-vous au public ? Au gens d’ici, aux gens d’Europe ?
OVD Je cite toujours une anecdote qui me fait sourire. La première fois que j’ai montré Le futur du beau [titre d’une série de photographies, 2011-2012] au Sénégal – c’était mon premier projet, j’étais encore totalement inconnu au bataillon – j’ai installé moi-même les tirages. Il y avait le personnel, les femmes de ménage de ce centre-là, qui avaient fini leur journée, qui étaient en train de rentrer. Il y avait un groupe de trois ou quatre femmes qui se sont arrêtées devant une photo. Je crois que c’était celle où le modèle avait les brosses à récurer sur la tête. Et elles parlaient en toute liberté parce qu’elles ne s’imaginaient pas que c’était moi le photographe, elles s’imaginaient que j’étais le menuisier qui installait, et je les entendais parler. Ce qui était marrant, c’est qu’elles se retrouvaient vachement, parce que la manière dont le foulard de tête était noué, l’une disait que cette coiffure avec les pompons, ça lui rappelait une vieille photo de sa grand-mère, parce que c’était un style des années 50, et donc il y a eu toute une conversation sur le nom de cette coiffure. L’une disait que ça s’appelait comme ça, l’autre disait „Mais non, tu ne sais pas, ça s’appelait comme ça, ma mère le faisait encore dans les années 60...“. Et j’étais très content, bien au-delà de la réponse médiatique et de l’intérêt artistique. Ce feedback-là était très gratifiant pour moi, parce que, en particulier pour ce projet-là, c’est vraiment à tout le monde, y compris à ces femmes de ménage, que je m’adressais. Je sais très bien que le lendemain, elles ne se sont pas mises à se mettre des brosses à récurer sur la tête, mais au moins ça a fait tilt et elles ne sont pas passées devant comme elles l’ont fait, j’imagine, à toutes les expos, en se disant „Ah, ça c’est des choses artistiques, c’est des choses de fous!“. Ça les a vraiment interpellées et elles ont pris le temps de discuter et de reconnaître un peu les indices que je mettais dans cette photographie. Ça, c’est un souvenir que je garde et jusqu’à présent, à chaque fois que je compose une photographie, j’essaie d’avoir un discours qui est accessible à tout le monde. Il y a un proverbe qui dit que „Le pain n’est pas seulement fait pour les boulangers“, donc pourquoi l’art serait seulement fait pour les artistes ? Il faut que ça soit fait pour tout le monde, parce que c’est un produit social, et c’est très important en tout cas pour moi.
« CE N’EST PAS DE LA RADIOGRAPHIE, C’EST DE LA PHOTOGRAPHIE »
OVD Tout le travail se fait avant la prise de vue. Parce qu’il faut créer une relation. Ce n’est pas seulement le travail du photographe, c’est un travail d’équipe. Il faut que la personne soit à l’aise, il faut connaître la personne pour savoir quelle est sa zone de confort, quelles sont les choses qui sont susceptibles d’être photogéniques, quelles sont les choses que la personne à envie de montrer. Ce n’est pas de la radiographie, c’est de la photographie. En général, avant une séance de prise de vue, j’ai souvent plein de rencontres avec la personne, on discute. Vraiment, je tiens à ce que ça soit amical, et aussi, je suis quelqu’un qui travaille très vite pour les séances de prise de vue. Mes séances de prise de vue ne durent rarement plus d’un quart d’heure.
LE TEXTILE COMME MODE NARRATIF
Q Quel rôle joue la couleur, mais aussi les tissus, dans vos photographies ?
OVD D’une manière générale j’ai beaucoup d’intérêt pour le textile. Je pense que s’il y a un moyen de raconter un contexte et de suggérer des choses par rapport à l’individu que je photographie, c’est justement par le choix des textiles, le choix des formes géométriques et aussi par le choix de l’origine du textile. Moi en tout cas, quand je regarde chacun des portraits a posteriori et que je me demande pourquoi j’ai choisi ce graphisme et ce tissu pour telle personne, souvent je me rends compte que ça colle énormément avec l’idée que je me fais de cette personne. Et en général, ces personnes s’y retrouvent aussi énormément. Je choisis toujours l’arrière-plan. Le décor, c’est toujours moi. Ce que les gens choisissent de porter, c’est vraiment selon leur personnalité. Il y en a qui ont une idée de ce qu’ils veulent mettre, et d’autres qui me laissent choisir. Mais la plupart du temps, j’ai mon mot à dire sur ce que les gens mettent, ou je dramatise un peu l’idée de base que les gens ont.
LES REFERENCES PHOTOGRAPHIQUES
Q Comment vous positionnez-vous par rapport à la photographie de mode internationale ? Dans quelle tradition vous voyez-vous ?
OVD Je penserais à Jean-Paul Goude, Annie Leibovitz, Richard Avedon. Ce qui m’attire et ce qui m’a toujours fasciné dans leurs travaux, c’est ce goût pour le dramatique, ce goût pour l’irréel et le fantaisiste. Tant qu’il s’agit de photographie de mode, que ça ait l’air vrai, que ça ait l’air cohérent, ce n’est vraiment pas ça le souci. C’est une invitation au rêve. Je sais très bien qu’il ne s’agit pas d’un photographe, mais quand on regardait un défilé d’Alexander McQueen, on savait très bien qu’il n’y aurait personne pour marcher sur des talons comme ça dans les rues londoniennes. La photographie, c’est un moment de rêve, une échappatoire, c’est le sublime. Tant qu’il s’agit de photographie de mode, ce n’est pas un documentaire de National Geographic, ce n’est pas du journalisme. S’il faut intervenir de manière graphique, s’il faut beaucoup de retouches, pourquoi pas. C’est aussi de la création, on n’a jamais dit que la création s’arrêtait au moment où la photo était shootée. Je ne voudrais pas être prétentieux et dire que je m’inscris dans cette lignée, parce que je sais tout le travail, tout le génie qu’il faut pour produire des portfolios comme ça, mais ce sont des gens que je considère comme des références pour moi.
UNE HISTOIRE DE L’ART GLOBALE
Q Vous avez dit que l’on assiste à une nouvelle ère, avec en même temps des références à la tradition de l’histoire de l’art. Comment voyez-vous ce mélange ?
OVD On passe notre temps à s’influencer d’un continent à l’autre. Quand on regarde certaines photographies de Seydou Keïta, moi ça me fait penser à certaines peintures d’Henri Matisse, en regardant Matisse, on trouvera forcément des influences africaines, et ainsi de suite. En regardant certaines photographies, par exemple une photographie de Mama Casset je crois, où il y a deux dames super bien coiffées, assises côte à côte, je ne peux pas m’empêcher de faire le lien avec une peinture de Frida Kahlo. Ce sont des choses qui sont tellement en nous qu’elles deviennent inconscientes, mais elles sont vraiment là. Je pense qu’avec ce bagage visuel africain ou ouest-africain que j’ai, je touche un public africain, mais pas seulement africain, la terre entière, car c’est certainement le fruit d’autres influences qui viennent d’ailleurs, et ce sera un juste retour.
Interview réalisée au Goethe Institut Senegal, Dakar, 19. 06. 2014
par Marion Jäger, Bärbel Küster, Marie-Louise Mayer, Alicia Hernandez Westpfahl
INSTALLER LE STUDIO DANS LA RUE
FD J’ai un nouveau projet que j’appelle « Le studio de la rue ». L’idée principale est que j’installe mon studio dans la rue, puis j’explique aux gens que c’est un studio des années 1950/1960. Les gens réagissent en général tout de suite : « ah oui, ça c’est bien ! » Ça les intéresse, parce que ce sont des conservateurs. Quand j’ai fait « Le studio de la rue » au Mali, ça a beaucoup amusé les gens.
Q Quelle a été la genèse de ce nouveau projet ?
FD L’idée du « studio de la rue » est venue en me levant un matin. J’ai dit à mon mari : « tu sais, aujourd’hui, je vais faire le studio de la rue. » Il m’a dit : « Vas-y ! » Je suis descendue de chez moi, je suis allée voir les voisins du quartier. J’ai dit : « ce soir, il y a le studio de 17h à 19h ». Tout le monde m’a dit : « Ah oui, on va venir. » Je voulais m’installer chez mon voisin, celui-ci m’a dit : « Attends, je vais réfléchir. » Il n’était pas là, j’ai fait trois tours pour le chercher. J’ai dit à mon voisin, quand je l’ai trouvé : « Bon j’aimerais bien venir installer mon studio ce soir devant ta maison. » Il m’a demandé : « C’est pour combien de temps ? » J’ai dit : « Aujourd’hui seulement. » Il a répondu : « Ah bon, aujourd’hui ; à quelle heure ? » - « De 17h à 19h. » « Ok, c’est parti ! » J’ai descendu les objets, j’ai commencé par des choses simples. Je veux aller dans ce sens, un studio assez simple avec des tissus à l’africaine, un fond particulier et je vais transporter ça partout avec moi.
Interview réalisée à Dakar, Casa Mara Guest House, 17. 06. 14
Par Bärbel Küster, Marion Jäger, Alicia Hernandez-Westpfahl, Marie-Louise Mayer